Comme j’étais en vacances la semaine dernière et que j’avais besoin de redonner à mon esprit le sens des grandes étendues, j’ai décidé d’aller me perdre quelque peu dans les lugubres profondeurs de la forêt boréale de mon Groenland natal. En fait, je ne me suis pas perdu du tout puisqu’il s’agissait d’un sentier parfaitement balisé mais qu’importe : mon regard s’est tout de même égaré çà et là, en glissant sur la mer d’épinettes qui s’étendait devant moi. Je marchais au milieu de cet austère mais néanmoins glorieux spectacle d’une nature éprouvée par les rigueurs du climat, et je me disais alors que contrairement aux formations inorganiques du globe, dont les formes rigides nous rappellent l’implacable règne des forces physiques qui nous enserrent, les végétaux ont une façon de bondir, légers et insouciants, contre cet ordre établi. Cela est particulièrement vrai en ce qui concerne les arbres: leur fière verticalité, véritable affront à la loi gravitationnelle, les font apparaître comme de grands proclamateurs du triomphe de la vie. Aussi, je me demande bien ce que nous serions sans ces splendides compagnons, dont les étendards feuillus ne peuvent manquer de galvaniser notre soif d’exister.

Malgré tout, mes déambulations en forêt réussissent tout de même parfois à venir titiller le fond névrotique de ma cervelle, et de la façon la plus tordue. Que le lecteur convienne d’abord avec moi que peu importe notre degré d’éco-sensibilité, nous considérons ordinairement les étendues sylvestres qui nous entourent comme autant de chasses-gardées de la civilisation, et nous y pénétrons en seigneurs, bouffis par l’orgueil conféré par notre stade supérieur d’évolution. Et bien précisément, il arrive que l’atmosphère tantôt pesante de la forêt en vienne à émousser mon sentiment à cet égard et que soudainement, je me sente comme un simple habitant au royaume du végétal. Les gloires humaines me semblent alors perdre tout leur lustre, et l’arrogance qu’elles nous confèrent n’est plus qu’une vanité de bipède insignifiant. Ici, dans la forêt, il me semble que nous sommes tous –  humains et végétaux – sujets de la nature, sujets de ce démiurge cruel, artisan de la vie, que Schopenhauer appelait le génie de l’espèce.

Les arbres et les végétaux, qui ont une existence essentiellement passive, ne peuvent être que les instruments idéaux de ce génie de l’espèce. Mais nous, humains qui ne pouvons nous empêcher de nous croire libres, sommes-nous si différents ? Nous nous mouvons, nous pensons, nous œuvrons mais au final, n’obéissons-nous pas, à peu de choses près, aux mêmes lois ? Ne sommes-nous pas plantes mouvantes, plantes pensantes, plantes œuvrantes – bref, plantes humaines ? Plantes un peu plus friponnes sans doute que nos cousins végétaux, plantes bouffonnes, plantes tortueuses, plantes tourmentées, mais plantes quand même, et donc esclaves du génie de l’espèce.

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Il y a une théorie psychologique qui, d’un certain point de vue, va dans le sens de ce qui vient d’être dit, à savoir celle du béhaviorisme radical. Le béhaviorisme est l’étude des comportements de l’être humain en tant qu’ils sont pris dans leur pur aspect phénoménal, c’est-à-dire en dehors des considérations liées au psychisme, à l’intériorité des individus. Selon cette théorie, les comportements humains s’expliqueraient uniquement par des raisons extérieures aux pensées de chacun. Si par exemple je cherche à comprendre d’où vient mon besoin de philosopher, alors j’examinerai, en bon béhavioriste, les facteurs de mon environnement qui ont pu m’y pousser, et cela sans tenir compte du monde de mes intentions, de mes affects, de mes pulsions ou de mes instincts. Quant au béhaviorisme radical, il postule tout simplement que tout dans l’existence peut et même doit être jugé de cette manière. Aussi, son principal représentant, j’ai nommé Burrhus Frederic Skinner, n’hésite pas à affirmer qu’il s’agit là non pas seulement d’une théorie psychologique, mais bien d’une philosophie à part entière.

Quel rapport entre cette théorie et l’idée que nous ne soyons que de vulgaires plantes humaines ? Et bien voilà: le béhaviorisme radical, en biffant tout le monde de notre psychisme intérieur, ramène l’homme à une sorte de nature passive qui a bien plus à voir avec les végétaux qu’avec cet être de raison auquel nous nous associons ordinairement. Ceci pourrait être éclairé par une autre virée chez Schopenhauer qui, dans son ouvrage-phare Le monde comme Volonté et comme représentation, distingue le mode d’intériorité des différents règnes de la matière. Il affirme d’abord que la matière inorganique fonctionne sous le principe de la causalité: c’est-à-dire que les effets qu’elle produit sont proportionnels aux effets qui la causent. Par exemple, le réchauffement d’un rocher sera proportionnel à la quantité de soleil qu’il aura reçue sur sa surface. Ensuite, Schopenhauer associe au règne végétal le mode de l’excitation, sous lequel les causes extérieures provoquent cette fois des réactions qui ne sont pas proportionnelles. Ainsi, le soleil qui bute sur la feuille d’un arbre provoque son mouvement en la faisant se dresser vers la lumière mais cette fois, le phénomène est sans proportionnalité, puisque l’excitabilité de la plante ne change pas significativement selon la quantité de soleil reçue. Enfin, toujours selon Schopenhauer, l’essence intérieure des hommes et des animaux est d’élaborer des motifs à leurs actes. Or, le béhaviorisme radical nie précisément la valeur de tels motifs pour expliquer les actes des hommes, et pose plutôt la thèse que ceux-ci ne découlent que d’une excitabilité de l’organisme humain aux différents stimuli de son environnement. En somme, Skinner pose l’idée qu’au fond, le mode d’intériorité de l’homme est exactement le même que celui du règne végétal.

Si cette idée est exacte, alors cela constitue certainement une atteinte sérieuse à l’orgueil humain, dans la lignée des grandes désillusions coperniciennes et darwiniennes. Pour en saisir la portée, considérons l’une des thèses les plus saisissantes de Skinner, à savoir que dans le processus de l’apprentissage, l’apprenant est essentiellement une créature passive qui ingère des données dans la mesure où les stimuli de son environnement l’y invitent. Les conséquences de ce raisonnement peuvent être fort intéressantes dans la mesure où, par exemple, elle peut inciter les hommes à repenser de manière scientifique la manière dont les écoles sont construites, dont les classes sont aménagées, ainsi qu’à reconsidérer la valeur des méthodes pédagogiques des enseignants, au lieu de faire porter le poids de l’apprentissage à la seule bonne volonté des apprenants. Cela peut également se transposer dans l’expérience individuelle: ainsi, au lieu de toujours ruminer les mêmes questionnements ou pensées stériles, l’un peut se pencher sur la composition de son environnement, sur l’ensemble des stimuli auxquels il se soumet chaque jour et les modifier de la façon qui lui sied.

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Sur la question de l’apprentissage, il saute toutefois aux yeux que la perspective du béhaviorisme radical n’est pas sans étroitesse, puisqu’elle réduit le rôle de l’apprenant à celui d’un simple accumulateur de connaissances. Or, tout élève, étudiant ou autre être soucieux d’apprendre porte certainement en lui le besoin que ses connaissances s’inscrivent dans le projet de sa vie et participent à lui donner du sens. En d’autres termes, l’apprenant ne se présente pas comme un réservoir vide qu’il s’agirait de remplir: il arrive plutôt avec des dispositions, des envies, des besoins, des aspirations, des rêves. Par suite, la stérile érudition du débutant, qui peut certes se trouver stimulée par toutes sortes de techniques, ne devient un savoir vivant et bien assimilé que dans la mesure où elle se marie à ce petit monde d’élans intérieurs qui le constituent. Cette perspective, qui s’articule autour de la question du sens, a une certaine parenté avec la philosophie existentialiste, laquelle pourrait justement être considérée comme l’exact opposé du béhaviorisme radical. Alors que celui-ci ne considère que le déroulement extérieur de la vie, l’existentialisme s’attache à l’expérience interne de l’individu, aux tiraillements de son âme.

Nous pourrions résumer tout ceci en affirmant qu’un apprenant est un être engagé dans une quête, et que l’apprentissage est d’abord et avant tout un moyen d’alimenter cette quête, de la rendre palpable à l’esprit même de l’individu, et enfin de la rendre communicable. Et c’est précisément parce que cette tâche appartient au domaine de notre intériorité que toutes les techniques pédagogiques du monde ne parviendront jamais à régler à elles seules le problème de l’apprentissage. Peut-être cette quête n’est-elle pas innée à l’homme ? Alors je dirai que c’est le but suprême de tout processus d’apprentissage de la faire naître en son for intérieur. De même que cela devrait être le but suprême de toute civilisation de faire entrer chacun des individus qui la compose au sein d’une quête collective d’ébaubissement de l’humanité.

Je disais plus tôt que le mode d’intériorité typique de l’homme selon Schopenhauer est d’élaborer des motifs à ses actes. Or, nous pouvons certainement affirmer que la quête est le motif suprême, l’archétype de tout motif, la tonalité même de l’être dont le motif est le mode d’intériorité. Cela nous oppose donc au béhaviorisme radical, pour lequel l’homme se trouve relégué au mode végétal de l’excitation. Peut-être y aura-t-il toujours quelque chose en nous qui relève de la plante ? Mais les hommes ne s’en distinguent pas moins par la qualité qu’ils ont d’être en quête. De quoi ? Nous pouvons dire que les animaux sont en quête des conditions matérielles de leur existence et que les motifs qu’ils sécrètent à cette fin consistent en une excitabilité temporalisée : là où le soleil excite la propension de la feuille à secréter de la chlorophylle, la faim habite l’animal et le pousse dans le monde afin de trouver satisfaction. Chez l’homme, cette quête matérielle se double d’une quête spirituelle: c’est-à-dire qu’il se languit de quelque chose qui lui est inconnu, qu’il a besoin de prendre la mesure du mystère des choses. L’homme est une plante curieuse, voilà tout. Aussi son déclin a-t-il la couleur de l’indifférence.

10 réflexions sur “La plante humaine

  1. Merci beaucoup, c’est très intéressant…

    « Or, nous pouvons certainement affirmer que la quête est le motif suprême, l’archétype de tout motif, la tonalité même de l’être dont le motif est le mode d’intériorité. Cela nous oppose donc au béhaviorisme radical, pour lequel l’homme se trouve relégué au mode végétal de l’excitation. »

    Et si ce n’est pas une opposition ?

    Regardez cette vidéo, l’arbre n’est qu’un corps et Francis Hallé explique qu’il a un esprit (c’est lui qui le dit). Schopenhauer parle de l’esprit, la quête est dans ce que nous disons. Skinner parle du corps, nous faisons ce qu’il a appris, selon ce que nous avons appris à dire. Et l’église (Aristote) dit que l’esprit et le corps sont indissociables…

    L’ambiguïté des propos de Francis Hallé se résout si l’esprit est en dehors des arbres, c’est une chose immatérielle dont nous pouvons parler. Et s’il en allait de même pour l’homme? Que ce dont nous parlons était extérieur à nous (c’est quelqu’un qui le dit et nous l’apprenons), que nous (notre corps) devait l’apprendre pour avoir une quête?

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    1. L’opposition est envers le radicalisme de la position de Skinner, non contre le béhariovisme en tant que tel. On peut très bien saisir les choses par le dedans comme par l’extérieur – ce ne sont que les deux facettes d’une même chose.

      Dans la théorie des modes d’intériorité de Schopenhauer, dont je parlais dans l’article, il s’agit bien de 3 déclinaisons de la Volonté. Donc oui, d’un certain point de vue, selon cette théorie, les arbres ont un esprit, de même que les choses immatérielles. Ce qui n’empêche pas que le mode d’intériorité de l’homme se distingue nettement des autres.

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  2. Telles les plantes, nous sommes faits pour remplir le vide. La terre le prouve ; tant qu’elle n’est pas à un grand point bétonnée ou polluée, il y a toujours quelques herbes pour s’y mettre.

    Et parfois, nous Hommes, vaniteux, nous avons ce grand sentiment de remplir le vide par le vide (Ecclésiaste). Il est là l’Homme, le grand, qui regarde la vie/mort en face, qui retourne la chose, qui prend le nihilisme à contre-pied. Il sait, il sent, que tout est en place pour occuper l’espace – pour ne pas tomber dans la vacuité destructrice, dans le non-sens. Pourtant…

    La plante vit le monde à son extrême.Elle ne fait qu’un avec lui. De la terre où elle prend racine, au ciel où elle trône. Il n’y a pas là considérations, prétentions, envies, concepts…C’est la radicalité du monde à son état brut. La vie pour la vie. Un bel et grand Accident. Un balai dans le cosmos. Avec ses microcosmes au pied. Aucun sens. La Vie pour la Vie. Les cycles parce que c’est comme ça.

    Nous, nous tentons de vivre dans le monde et nous ne pourrons jamais nous y sentir pleinement chez nous. Car la raison et les structures, nous y empêchent.Et notre propre fonctionnement ne connait pas cette radicalité de la plante. C’est là ce qui nous fait évoluer et nous rend perpétuellement insatisfaits. Nous sommes êtres de manque par pur fonctionnement. Des êtres d’actes.

    Vivre pour vivre est impossible pour nous.

    Force et faiblesse.

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  3. J’aime beaucoup, mais n’est-ce pas présomptueux de dire que « Vivre pour vivre est impossible pour nous? » Car cet arbre ne vit pas, c’est nous qui disons qu’il est différent de ce caillou, parce que celui-là vit et que celui-ci est inerte. Nous sommes alors du côté de l’arbre, parmi les choses qui vivent. Pour avoir ce privilège, nous devons porter le fardeau de l’évolution, le nôtre est très lourd car nous sommes son prédateur ainsi que celui des autres espèces. Nous ne faisons que vivre en le portant. Que notre fardeau nous conduise à pouvoir en parler ne signifie pas que nous faisons autre chose que ce que fait cet arbre, vivre en portant un fardeau.

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    1. Il y a fardeau lorsqu’il y a ressentiment* envers ce qui est porté. Les arbres n’éprouvent pas quelque ressentiment que ce soit envers leur fardeau. Aussi, ce n’en est pas un. Nous pouvons sympathiser avec les arbres dans ce qu’ils manifestent la même force d’affirmation vitale que nous, mais cette sympathie ne s’étend pas à la dimension morale de la vie humaine dont je viens de parler. Nous la retrouvons seulement à un degré limité chez les animaux.

      * En outre, l’homme ressent son fardeau sans doute parce que sa propension à élaborer des motifs le met en conflit avec sa propre excitabilité – qui est elle-même un héritage quelque peu dilué des règnes inférieurs. Accroché à ses idées, il traverse le cortège des « tentations » qui jonchent son parcours au fil du temps: occasions de se donner du plaisir, de fuir un danger, etc.

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    2. Ah bien sûr. Je suis totalement d’accord. Nous sommes du côté de l’arbre, des animaux. La grande différence est que l’arbre ne peut choisir le « rôle » qu’il va porter dans la vie contrairement à l’humain qui peut être bûcheron par exemple (avoir le sentiment ou pas, au moins). L’arbre, une fois planté, n’a qu’un seul choix ; croître. Comme nous tous, dira-t-on. Oui. Mais un arbre ne peut se suicider. Alors que nous oui, notre rayon d’action est bien plus large, et même en apparence.

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      1. Oui :-)…

        L’homme a des comportements humains guidés par l’esprit. Il peut choisir : « prendre une personne ou une chose de préférence à une autre ou à plusieurs autres. »

        Nous avons un temps 1 où nous constatons que l’arbre aurait pu avoir ce prédateur ci ou celui-là (par exemple, selon le goût de ses fruits), et un temps 2 ou il n’a que celui-ci. Nous avons un temps 1 où cet homme aurait pu être bucheron ou cordonnier, et un temps 2 où il est bucheron. L’arbre n’a pas choisi, pas plus qu’un chat ou un chien ne fait de choix, car il n’a pas d’esprit. Nous disons que pour l’arbre c’est le hasard (ce qui est vrai pour l’individu et faux pour l’espèce, car ceux qui ont « bien » « choisi » sont ceux qui existent), et pour l’homme que c’est la raison, ce qui signifie que l’homme avait un motif (une préférence). Mais l’homme ne peut pas plus savoir que l’arbre (en faisant comme si l’arbre pouvait savoir quelque chose) ce qu’il fallait faire… Le motif n’est que dans l’esprit.

        La philosophie occidentale (est-ce la seule ?) considère que l’esprit est individuel, ce qui est vrai puisqu’il est intériorisé, mais faux car si c’était le cas, il n’y aurait pas de motif car l’homme agirait au hasard comme l’arbre, nous ne pourrions pas en trouver des semblables pour pouvoir le généraliser et en parler. Une fois que nous considérons que l’esprit n’est pas individuel (ce qui ne signifie pas qu’il soit plus divin que, par exemple, la culture), la question est alors de savoir d’où il provient, et d’où proviennent les motifs. Nous pourrions alors constater que les choix de l’homme sont motivés par rapport à ceux des autres hommes, pas par rapport à ce qui peut le préserver. Il ne fait que vivre sa vie et peut parfois envier l’arbre par sa grandeur et sa simplicité, alors que lui-même ne peut exister sans son esprit qui le contraint à faire des choix.

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      2. L’esprit fantasmagorique et de rationalité est chose humaine, ce qui nous amène partout et nulle part. Il me semble que ce que nous faisons (ne) sert (qu’à) combler le vide de nous-mêmes, jusqu’au jour où nous y allons totalement par la mort. Nous sommes programmés pour spéculer et acter; une toupie.

        La provenance est comme l’arrivée ; le néant.

        Vertigineux.

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      3. C’est cela, et très bien résumé… mais un peu pessimiste, peut-être?

        Même le néant est issu de l’esprit, cela ne sert qu’à montrer notre ignorance. Alors nous pouvons le dire différemment. Aristote disait que (puisque nous sommes vivants) la finalité de la nature ne peut être que notre « bien » en ajoutant peu importe ce que cela peut signifier. Nous pourrions donc dire que peu importe l’avant et l’après (le néant), nous devons faire notre « bien », ce que nous savons signifier par l’esprit. Pourtant, tant que nous penserons que l’esprit est individuel, nous serons contraints de faire le bien des autres, un « bien divin », qui n’est pas le nôtre. Dire « vivre pour vivre est impossible pour nous », peut signifier que cette quête du « bien » qui conduit à changer l’Esprit pour « imposer » le nôtre, n’est pas une illusion. C’est peut être cela la philosophie, répondre à cette question. Dit autrement, est-ce que la philosophie peut faire autre chose que de constater l’évolution du bien et du mal, comme nous ne faisons que constater que l’arbre a évolué de telle ou telle façon pour s’adapter à son environnement? Pourtant, la question semble absurde, car quelle que soit la réponse, cela signifie que nous faisons déjà notre bien. Il me semble donc présomptueux de dire que vivre pour vivre est impossible car cela suppose que nous ayons la réponse à cette question, que nous savons que nous avons ce petit quelque chose en plus de l’arbre qui nous permet de dévier la destinée humaine. A contrario, ce n’est pas présomptueux de chercher la réponse puisque nous ne sommes pas des arbres:-).

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  4. Il me semble en vous lisant que je n’ai pas réussi à exprimer clairement ce que je voulais dire. L’esprit n’est pas une chose matérielle. Et dire qu’un arbre a un esprit est dénué de sens.

    L’ambiguïté est sur ce que vous nommez « intériorité ». L’esprit étant immatériel ne se situe pas dans l’espace. Il n’est pas à l’intérieur d’un individu, ni même à son extérieur. Des scientifiques pourraient trouver les neurones dans notre cerveau qui nous permettent de dire « bonjour »… ces neurones ne seraient pas une partie de l’esprit, mais du cerveau. Nous apprenons à dire « bonjour » par l’apprentissage en interagissant avec les autres (et des neurones le stockent). C’est la perspective de Skinner. Mais les animaux ne se disent pas bonjour. Ce « bonjour » provient de l’esprit, nous le disons parce que c’est une pensée que nous pouvons avoir, nous le disons en ayant quelques motifs qui sont définis par l’esprit. C’est la perspective de Schopenhauer. Le comportement (le corps) et ce que nous en disons (par l’esprit) sont indissociables. Pourtant, je ne dis pas « bonjour » parce que j’ai un motif quelconque, mais parce que j’ai appris à le faire. Le motif est dans l’esprit, de la même façon que je pourrais dire que la langue est dans la culture. J’ai pu apprendre le motif (ou pas) de la même façon que j’ai appris à dire « bonjour » et que j’ai appris une langue. J’ai « intériorisé » des choses qui proviennent de mon extérieur, de ceux qui me l’ont appris. L’esprit (le motif, la tentation, le plaisir, le sentiment…) n’est pas plus le mien en propre que la langue n’est la mienne en propre. Je ne fais que partager une connaissance commune issue de l’esprit, de la capacité humaine à inventer ces choses et à créer les comportements qui s’y rapportent. Ce n’est pas individuel. Si c’était le cas, Schopenhauer (comme Skinner) ne pourrait rien en dire.

    L’arbre ne fait qu’avoir un patrimoine génétique qui est commun à d’autres arbres. Chaque individu peut le faire évoluer et il se diffusera ou pas. L’homme ne fait qu’avoir un esprit qui est commun à d’autres hommes. Chaque individu peut le faire évoluer et il se diffusera ou pas. Ce n’est que la temporalité qui est différente comme le fait remarquer Francis Hallé. L’arbre va évoluer sur des dizaines de milliers d’années, alors que les comportements humains peuvent changer sur quelques dizaines d’années. L’esprit évolue plus rapidement que le patrimoine génétique. Les deux sont un « fardeau », l’arbre porte le sien, et nous portons le notre. Nous pouvons ressentir le notre, et pas l’arbre. C’est un comportement humain qui par là-même peut avoir un motif. Je ne l’ai pas plus « élaboré », je n’ai fais que l’apprendre, que l’arbre n’a élaboré sont patrimoine génétique, il ne fait que l’avoir. L’arbre n’apprend pas, les mammifères apprennent de leur environnement, l’homme apprend de l’esprit. C’est pourquoi seul l’homme peut porter un « fardeau » qui n’existe que par l’esprit et qu’il peut le ressentir.

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