Élohim dit: « Que la terre fasse sortir des animaux vivants selon leur espèce: bestiaux, reptiles bêtes sauvages, selon leur espèce ! » Il en fut ainsi. Élohim fit donc les bêtes sauvages selon leur espèce, les bestiaux selon leur espèce et tous les reptiles du sol selon leur espèce. Élohim vit que c’était bien.

***

Évidemment, il ne peut que frapper nos consciences d’hommes du XXIe siècle que le brave Élohim ait conçu de créer les animaux « selon leur espèce », comme cela est d’ailleurs précisé à maintes reprises tout au long de ces deux versets. En effet, cela nous est aujourd’hui une vérité banale que d’affirmer que les espèces d’animaux sont le fruit d’une évolution qui s’étend sur des millions d’années. D’un autre côté, à l’époque de la rédaction de la Bible, la théorie de l’évolution était tout à fait inconnue. Au mieux les grecs avaient-ils commencé à développer quelques soupçons à ce sujet – c’était notamment le cas d’Anaximandre de Milet. Mais si nous fermons les yeux sur ces soupçons somme toute marginaux, il est parfaitement logique que les hommes de ce temps aient tenu la nature et ses constituants – ses essences, ses espèces – pour donnés tels quels.

De même que si l’on pose la question de l’origine de ce qui l’entoure à un jeune enfant, ou à un homme inculte en matière d’évolution naturelle, ceux-ci risquent fort de tenir tout ce qui les entoure comme étant donné tel quel par la nature. Cela signifie que la Genèse de l’Ancien Testament est effectivement représentative de la manière dont notre conscience se développe, ou même de la manière dont la conscience humaine s’est développée en général et qu’elle vaut donc, tel que je l’ai proposé dans le deuxième épisode de cette série d’articles, comme cosmogonie de l’esprit.

Que l’on me permette d’effectuer une comparaison avec un autre genre de genèse en parlant du premier mot que ma fille a appris, un peu avant son premier anniversaire, soit le mot « lumière » (bien qu’à cette époque, elle ne disait que « mière! »). Toute la scène de ce charmant apprentissage ne s’est en fait déroulée qu’en une petite fraction de seconde: sa maman et moi dîmes « lumière » en pointant la lumière de la cuisine, puis notre fille répéta ce mot en pointant la lumière de la cuisine à son tour et alors, en sa petite conscience naissante, la lumière fut. Et elle vit, à l’émerveillement que cela provoquait chez ses parents, que cela était bon. C’est la même chose pour les espèces, qu’elle a découverts au fil des années. Et parce que le fait de connaître les espèces lui permettait d’en discuter avec les autres, elle a vu que cela aussi était bon.

Évidemment, il y a tout un processus cognitif qui se déroule avant qu’un enfant puisse en venir à assimiler un concept et sans doute lui avons-nous répété de nombreuses fois le mot « lumière » avant qu’il ne commence à s’installer en son esprit. Ce processus continue aussi de se dérouler après l’assimilation du concept en question, par l’enrichissement et l’évolution de son usage au fil du temps. Mais il n’en reste pas moins que l’apparition du concept, sa coïncidence avec la chose qu’il désigne, et donc la création de cette chose dans l’esprit de l’enfant, tout cela n’advient que par un seul mouvement qui a quelque chose de magique. En un moment soudain, la lumière est tirée de l’Abîme et vient rejoindre la grande congrégation des choses du monde de l’esprit.

Ma fille n’a toutefois pas inventé le concept de lumière, pas plus que celui des espèces d’ailleurs. C’est un legs que nous lui avons fait et que nous avons nous-mêmes appris de nos parents, qui l’ont eux-mêmes appris de leurs propres parents et ainsi de suite. De même, ce concept a probablement énormément évolué au fil des siècles, par exemple au fil des changements de langue – du grec au latin, du latin au français. Comme les espèces, le langage aussi est soumis à une longue évolution. Mais il n’en reste pas moins qu’au regard de la conscience naissante, l’apparition d’un concept ressemble à une création, à une genèse et qu’aux yeux de l’enfant, il apparaît comme étant donné tel quel.

Si nous en revenons donc à la création des animaux selon leur espèce par ce bon vieux bougre d’Élohim, et que nous nous en tenons à l’interprétation selon laquelle la Genèse se vaut comme cosmogonie de l’esprit, nous pouvons tirer une leçon intéressante. Il nous est en effet permis d’affirmer que le monde dont parle la Bible, qui, dans cette perspective, n’est effectivement autre que le monde de l’esprit, ou celui de la conscience, est radicalement différent de celui dont parle la théorie de l’évolution. Le monde de la théorie de l’évolution n’est autre que celui de la science: c’est un monde modélisé au fil de recherches exhaustives, animé par des relations physico-chimiques. Or, ces relations physico-chimiques nous disent que le monde est le fruit d’un processus évolutif constant et que les animaux n’échappent pas à ce processus.

Tandis que l’Ancien Testament semble plutôt nous parler du monde de la conscience, ou de l’apparition des choses du monde à la conscience de l’homme1. Or, cette perspective n’est pas traversée par des relations physico-chimiques qu’il s’agit de mettre au jour, mais plutôt par des processus d’apprentissage ou même, pourrions-nous dire, des processus d’apparition. Les spéculations de la science doivent certes éventuellement faire partie de ces processus mais seulement à un moment tardif auquel la Bible ne s’intéresse manifestement pas (après tout, il s’agit d’une œuvre préscientifique). Par conséquent, il importe de noter que si la Bible et la science ne parlent pas des mêmes choses, alors tant les scientifiques que les créationnistes ont tort de s’en prendre les uns aux autres puisqu’ils outrepassent chacun les limites du territoire qui leur est propre: les scientifiques en quittant le monde physico-chimique pour celui de l’esprit et vice-versa pour les créationnistes.

1 Me rendant compte que je ce que je raconte là ressemble beaucoup à la définition même de la phénoménologie, cette branche de la philosophie qui étudie l’expérience vécue telle qu’elle se présente à la conscience de l’homme, j’ai effectué quelques recherches pour découvrir que les rapports entre les textes bibliques et la phénoménologie ont effectivement déjà fait l’objet d’études, notamment chez le philosophe Michel Henry. Je n’ai toutefois pas de connaissance du contenu de ces études.

10 réflexions sur “Lecture de la Bible: Genèse I, 24-25

  1. « Si nous en revenons donc à la création des animaux selon leur espèce par ce bon vieux bougre d’Élohim, et que nous nous en tenons à l’interprétation selon laquelle la Genèse se vaut comme cosmogonie de l’esprit, nous pouvons tirer une leçon intéressante.  »

    Vous supposez que la science ne proviendrait pas de la « cosmogonie de l’esprit ».

    Je découvre un os de dinosaure à l’époque où la bible a été écrite. Pour moi, c’est l’os d’un géant, cela ne peut pas être celui d’une espèce inconnue. Je découvre le même os au XVIIIème siècle, cela peut devenir celui d’une espèce disparue. Est-ce que Dieu aurait puni les dinosaures d’une façon ou d’une autre?

    L’évolution biologique, a l’époque de Darwin, n’est que cela, une explication pour justifier que les dinosaures n’ont pas été « sages », à l’inverse d’homo-sapiens. C’est la continuité de ce que vous nommez la « cosmogonie de l’esprit ». Et pour suivre Darwin, pour être « sage », il faut donc se battre pour assurer sa « survie ». Sa théorie est un dogme qui s’oppose à celui de la religion. Il évite soigneusement la confrontation.

    Les poules qui descendent des dinosaures n’est pas un concept. Le concept est la poule.

    La création suppose que Dieu ait créé les poules ou la poule? Vous répondez la poule issue de l’esprit. Et pour ce qui me concerne, j’adhère à ce choix. Les dinosaures ont-ils disparu? Nous le disons parce que la poule n’est pas le dinosaure, mais est-ce que les poules ne sont pas les dinosaures? Est-ce que je suis vous? Non. Est-ce que nous pouvons parler d’évolution entre vous et moi, disons parce que vous seriez plus jeune? Non. Nous ne pouvons pas plus parler d’évolution entre les dinosaures et les poules.

    C’est donc le dinosaure (et pas les dinosaures) qui a disparu. Ce n’est qu’une vue de l’esprit.

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  2. « Vous supposez que la science ne proviendrait pas de la ‘cosmogonie de l’esprit’. »

    Non, je ne suppose pas cela. En fait, le premier jet de mon texte en faisait très précisément mention mais j’ai décidé de retirer cela car ça me semblait rendre les choses confuses.

    « L’évolution biologique, a l’époque de Darwin, n’est que cela, une explication pour justifier que les dinosaures n’ont pas été « sages », à l’inverse d’homo-sapiens. C’est la continuité de ce que vous nommez la « cosmogonie de l’esprit ». Et pour suivre Darwin, pour être « sage », il faut donc se battre pour assurer sa « survie ». Sa théorie est un dogme qui s’oppose à celui de la religion. Il évite soigneusement la confrontation. »

    Je n’ai jamais lu Darwin mais ce que j’ai surtout retenu de la théorie de l’évolution, c’est que devant un contexte donné, certaines espèces survivent alors que d’autres disparaissent. Point barre. Après, on peut saupoudrer la couleur morale que l’on veut à cet enseignement : on peut dire que les dinosaures étaient faibles, qu’ils n’étaient pas sages, tout comme l’on pourrait dire qu’ils ont été victimes d’un mauvais concours de circonstances. Je pense que c’est plutôt ce que certains ont fait et continuent de faire de la théorie de l’évolution qui a constitué et qui continue de constituer un dogme.

    Ça n’empêche pas que la science est forcément « cosmogonique ».

    Pour ce que vous dites quant au fait que l’évolution n’est qu’une vue de l’esprit, je dis : tout à fait. La science n’est finalement qu’un modèle prédictif (et donc un instrument d’action). Elle dit « voici ce qui s’est passé et voici donc ce qui risque de se passer » ou encore « voici ce qui risque de se passer si nous faisons telle chose ». Elle ne dit pas « voici ce que nous devons faire » ou « voici ce qui est bon ou mauvais » (ce qui revient à peu près au même). Voilà pour la définition « idéale » de la science. La réalité est évidemment différente. Il en va de la science comme en religion : la pratique corrompt trop souvent l’idéal. Tantôt, les recherches sont teintées de jugements moraux (comme vous le dites à propos de l’évolution), l’économie scientifique est dominée par des intérêts spécifiques, ou la culture scientifique est plus ou moins consciemment animée par la croyance au progrès technologique.

    « Est-ce que nous pouvons parler d’évolution entre vous et moi, disons parce que vous seriez plus jeune? Non. Nous ne pouvons pas plus parler d’évolution entre les dinosaures et les poules. »

    C’est-à-dire que de génération en génération d’êtres humains, il y a assurément une évolution. Notre taille moyenne augmente, par exemple. Ou alors je puis dire qu’il y a une évolution culturelle. Attention, je parle bien d’évolution et non de progrès.

    Nous apprenons à parler des animaux en particuliers et petit à petit, nous pouvons apprendre à connaître les relations qui existent entre eux, les fonctions qui nous permettre de prédire le devenir des choses et donc d’agir sur elles. Un peu de la même façon que les nombres entiers sont apparaissent d’abord à l’esprit des enfants et que petit à petit, ils intègrent les relations, les fonctions qui sont possibles entre ces nombres. Nos concepts sont des points d’appui pour agir dans le monde. Les fonctions (Deleuze parlait de « fonctifs ») constituent une couche qui se superpose aux concepts afin de nous permettre d’y aller de prédictions et donc d’agir de façon théoriquement plus efficace.

    Si je poursuis avec l’exemple des nombres entiers, les créationnistes seraient ceux qui disent : « les nombres entiers sont les réalités primordiales sacrées des mathématiques », alors que les évolutionnistes disent : « mais non, les nombres que des états dans des réseaux de fonctions, d’équations ».

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    1. J’essaye encore :-).

      En fait, j’aurais dû partir de l’essentiel : vous voulez « dompter les mots ». Je dis que les mots désignent des croyances et que les croyances tuent. Dieu a tué beaucoup de monde. Ce n’est pas le mot qui a tué mais la croyance en Dieu. Il ne suffit pas de savoir dompter les mots pour l’éviter. Aussi, je ne cherche pas à dompter les mots, par là-même à vous challenger, mais à vous montrer que les mots désignent des croyances.

      Je cherche pourquoi vous ne le voyez pas, pourquoi cela vous paraît trivial.

      «  … sa maman et moi dîmes « lumière » en pointant la lumière de la cuisine, puis notre fille répéta ce mot en pointant la lumière de la cuisine à son tour… »

      A partir de ce moment, votre fille a appris à parler d’une chose qu’elle pouvait voir: la lumière. Ce n’était pas un concept pour elle, alors que s’en était un pour vous, parce que pour vous la lumière « est, » ce qui signifie que la lumière a une définition. Vous pouvez la définir par d’autres mots (d’autres croyances). C’est devenu un concept pour votre fille lorsqu’elle a appris une définition du mot, ou peut-être qu’elle a appris que d’autres mots avaient une définition, qu’ils « étaient » quelque chose.

      Vous cherchez ce que sont les choses (à les dompter) alors que, puisqu’elles désignent des croyances, alors que je cherche pourquoi il y a les choses. Il est plus facile de répondre à cette dernière question en lisant des textes anciens, car ils ont été écrits à une époque où il y avait moins de choses, moins de croyances. Or, tout se ramène à pourquoi les choses seraient quelque chose, pourquoi la lumière serait un concept.

      C’est la question que posait Aristote. Comme vous, il ne se demandait pas pourquoi il y a l’être, mais « ce qu’est » l’être. Aristote disait que pour que les choses soient, il faut soit qu’elles aient été créées (la création), soit qu’elles aient été incréés, ce qu’il croyait. Aussi, en remontant de cause en cause, il arrivait alors à un premier moteur qui les aurait mises en mouvement (l’évolution). Les deux s’opposent, l’évolution de Darwin s’oppose au créationnisme de la religion, parce que ce sont des croyances.

      Les deux croyances (le créationnisme et l’évolutionnisme) peuvent être vraies simultanément. Pour le voir, il faut réconcilier les deux, voir que ce sont des croyances.

      J’entre dans la cuisine, j’appuie sur l’interrupteur et la lumière illumine la pièce. En disant cela, je ne parle pas de concept, ni de croyance, parce que cela n’induit pas que la lumière soit quelque chose. Il n’y a pas nécessité que la lumière soit quelque chose pour créer l’ampoule, l’électricité, l’interrupteur, etc. Ce ne sont pas les croyances qui ont permis à l’homme de créer cela. La question est alors pourquoi cela est (pourquoi l’être) ? Pourquoi un jour, la lumière fut pour votre fille ?

      « Évidemment, il y a tout un processus cognitif qui se déroule avant qu’un enfant puisse en venir à assimiler un concept et sans doute lui avons-nous répété de nombreuses fois le mot « lumière » avant qu’il ne commence à s’installer en son esprit. »

      Le croyez-vous ? Moi pas.

      Vous avez répété à votre fille que les choses étaient sans jamais avoir été capable de lui dire ce que cela signifiait, pas plus qu’Aristote n’a été capable de nous dire ce qu’était l’être. Que la lumière soit est la croyance qu’elle ait été incréée ou créée. En disant que la lumière est une croyance, implicitement cela signifie qu’elle a été créé par l’homme. Pourquoi il y a la lumière est pourquoi il a créé cette croyance, ce qui signifie qu’il ne l’a pas toujours cru. Il n’a pas toujours cru en la lumière, la poule, la conscience ou la réalité.

      Aussi, la question est bien celle qu’Aristote a éludée : qu’elle est la différence entre les poules et la poule (le concept, la croyance). La création suppose que Dieu a pensé la poule et les a créées, alors que l’évolution suppose qu’elles étaient là et que l’homme les a pensées. Or, l’homme n’a jamais pensé les poules. Ce qu’il pense « est » la poule, le concept. Nous pensons des croyances. Je ne pense pas que la lumière a illuminé la pièce (ce que je vois), mais que la lumière est quelque chose. Comme je le pense, je peux en douter. Je ne doute pas que la pièce soit illuminée et que la lumière provienne de cette ampoule.

      Pourquoi il y a la poule ? Donc, parce que l’homme l’a créée, il n’a pas créé les poules, mais la poule. Elle n »est pas incréée et n’a pas été créé par une chose invisible (un esprit, une conscience, etc.), mais par un homme. Il l’a donc créé avec ses mains. Il aurait pu prendre de l’argile et sculpter la poule. Cette sculpture n’est pas une création non-humaine et n’a pas été incréée. Elle n’a pas de cause. Il l’a fait comme ça, parce qu’il a des mains. Pourquoi il y a des poules (qui sont quelques choses), parce que lorsqu’il voit des poules, après avoir vu la sculpture, il peut alors se demander si les poules « sont » la sculpture, la définition qu’il peut en donner. La croyance en la poule est seulement d’ignorer la sculpture, d’ignorer qu’elle a été créée par l’homme, qu’il l’a définie à partir d’autres sculptures qu’il a assemblées avec ses mains.

      Nous expliquons par le passé (une croyance), les croyances que nous avons au présent, que ce ne serait pas l’homme qui aurait créé la poule. La création dit que c’est Dieu qui l’aurait créée et la science dit qu’elle aurait été incréée. Les deux cherchent à expliquer leur croyance (présente) en cherchant la réponse dans le passé, pour justifier qu’ils auraient raison.

      La réponse n’est pas dans le passé.

      Pourquoi il y a des nuages ?

      La réponse n’est pas dans le passé (comment ils se sont formés ou comment Dieu les a créés). Il y a des nuages parce que l’homme a créé le nuage et m’a montré ce qu’il a créé. Vous avez montré le nuage a votre fille, en lui montrant un dessin du nuage, quelque chose qui a été créé par l’homme, qui était là au moment où vous le lui avez montré. Si elle vous avait demandé pourquoi il y a des nuages, ce ne serait pas parce qu’elle se serait demandé comment ils sont arrivés là (elle vous l’aurait demandé), mais parce que vous lui auriez montré aussi l’image d’une fée et qu’il n’y a pas de féé. Le nuage n’est que l’assemblage de choses créées par l’homme, ce n’est qu’un assemblage de gouttelettes d’eau. Il y a des nuages parce que nous pouvons voir ce que nous avons créé, alors que nous avons créé la fée de la même façon et que nous ne pouvons pas en voir. Nous pouvons alors vérifier que le nuage est un assemblage de gouttelettes d’eau, en allant en montagne et en étant mouillé parce que nous avons traversé des nuages. Nous avons créé le nuage avant de pouvoir le vérifier. Nous ne l’avons pas créé en constatant que nous étions mouillés en les traversant. Il n’y a rien dont nous aurions à douter. Nous ne pouvons pas savoir pourquoi nous ne pouvons pas voir de féé, pas plus que nous ne pouvons savoir pourquoi une théorie scientifique ne fonctionne pas dans tous les cas. Aucune autre ne pourra l’expliquer.

      Il n’y a pas de création ni d’évolution des espèces. Ou alors, la création serait celle de l’homme qui a créé l’objet (la sculpture de la poule) et l’évolution serait comment cette sculpture a évoluée. Dans les deux cas, les poules ne sont pas une évolution des dinosaures. Aucun dinosaure n’a jamais donné naissance à une poule. Si vous dites que les hommes deviennent plus grands, l’évolution ne sert alors qu’à justifier qu’un homme peut-être grand ou petit, que c’est toujours la même espèce, parce que nous avons la croyance qu’un homme « est » un homme. Nous disons qu’il peut être grand ou petit pour nous prémunir du malheur d’en douter, du malheur que certains pourraient croire qu’un petit homme ne serait pas un homme.

      Vous ne résoudrez pas ce problème en domptant les mots. C’est l’homme qui dit ce qu’est l’homme. Ce n’est pas son esprit qui le dit parce qu’il l’aurait découvert en étudiant l’évolution ou parce que Dieu le lui aurait dit. Vous pouvez croire celui qui le dit ou ne pas le croire, alors que vous n’avez rien à croire si vous considérez que ce n’est qu’un homme qui le dit. La question de la croyance n’est pas le mot, mais de croire celui qui dit que ce mot « est » quelque chose, que ce serait un concept, que quelqu’un pourrait savoir quelque chose.

      Je ne sais pas ce que vous cherchez à faire en domptant les mots. Cela ne me perturbe pas, c’est sans doute une activité passionnante. Cependant, en le faisant vous devez croire quelqu’un, tel philosophe ou tel scientifique. Je cherche pourquoi vous croyez en ce qu’ils disent, pourquoi cela vous paraît trivial de croire.

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  3. Je vous dis une chose avant de commencer : n’« essayez » pas. Ne faites que dialoguer. Vous n’arriverez à rien en « essayant ».

    ***

    Vous dites tout d’abord que les croyances tuent, que Dieu tue. Mais c’est faux. Ce sont les hommes qui tuent. Évidemment, les hommes invoquent parfois des croyances pour justifier leurs crimes mais pourtant, deux hommes animés par une même croyance pourront en tirer des conséquences fort différentes. Certains chrétiens ont tué pour leur Dieu et d’autres ne l’auraient jamais fait.

    Il existe en logique ce que l’on appelle le modus ou la modalité d’une proposition : il s’agit de la partie de la proposition qui qualifie le lien entre le sujet et le prédicat. Ainsi, je peux moduler une proposition qui affirme l’existence de Dieu de bien des façons : « je pense que Dieu existe », « je sais que Dieu existe », « peut-être que Dieu existe ». Cette petite particule logique qu’est le modus exprime en quelque sorte la charge affective qui sous-tend la croyance qu’exprime la proposition. Celui qui est prêt à tuer pour son Dieu n’est pas animé par les mêmes affects que celui qui ne veut que vivre cette croyance en son for intérieur.

    Or, je trouve que ce petit modus en dit beaucoup plus long sur ceux qui tuent que le sujet et le prédicat de leurs croyances. 2 hommes peuvent lier le même sujet et le même prédicat dans leur croyance respective mais balancer entre les 2 des affects totalement différents. Ce qui fait qu’au final, il s’agit en fait de 2 croyances différente. Seulement, la nature même de la logique fait que nous les confondrons volontiers.

    ***

    En ce qui concerne la lumière, ce que je comprends de la différence que vous établissez entre la lumière que ma fille peut voir et ma croyance en la lumière, c’est que pour ma fille, le mot ne fait que désigner quelque chose qu’elle peut percevoir alors que pour moi, il se rajoute à cette perception tout un entrelacement de fonctions prédictives qui peuvent éventuellement me permettent de contrôler l’apparition ou la disparation de la lumière perçue (qui correspondent à mes notions de physique optique ou encore de physique électrique), ainsi que d’investissements affectifs qui peuvent par exemple s’exprimer sous la forme d’une poétique de la lumière.

    Je vais vous parler franchement : je n’ai jamais compris la question de l’être en philosophie et j’ignore totalement quel est son intérêt exactement. Je ne sais pas ce que cela peut vouloir dire d’affirmer que la lumière « est ». Le mot « être » et tous ses dérivés ne sont que des liants langagiers, utilisés pour unir plusieurs éléments langagiers (donc plusieurs informations). Lorsque je parle du fait que « la lumière est » ou que « la lumière fut », il s’agit d’une métaphore. La lumière n’est que les choses que nous disons qu’elle est, elle n’est que les prédicats que nous lui accolons. Si je dis de façon dénudée que la lumière « est », c’est une proposition incomplète qui n’a pas de sens logique. Mais son sens est peut-être justement poétique : la lumière « est » en ce sens où la chose étant maintenant nommée, elle est disponible afin qu’on lui accole des prédicats, pour qu’on lui rattache des fonctions prédictives, ou des significations poétiques. Il s’agit d’un pur sujet prêt à recevoir de prédicats. Les fonctions prédictives nous servent à contrôler notre environnement de façon coordonnée et les significations poétiques nous servent à parler de ce que nous ressentons.

    La Bible n’énonce pas de fonctions prédictives, elle n’est que poétique (mais ce n’est pas réducteur pour autant!). La parole de Dieu et la science se contredisent en apparence seulement et je pense que cette confusion m’amuse énormément… et qu’elle m’attriste aussi car les hommes ont perdu en bonne partie leur faculté poétique. Nous sommes devenus des machines à prédire. Corollairement, le monde est devenu prévisible. Trop. La modernité est un navire à la mécanique parfaitement rodée. Mais précisément, et même si c’est devenu cliché de le dire, nous ne pensons plus à la destination!

    Il est possible que la philosophie soit entièrement assimilable à ce jeu de saute-cheval entre les fonctions prédictives et la poétique, qu’elle cherche à aménager le jeu de ces 2 fonctions antagonistes.

    Je suis prompt à appeler « croyances » toutes les propositions que l’on peut former au sujet de la lumière parce que, dans le cas des fonctions prédictives, il ne s’agit justement que de fonctions prédictives, et non de réalité. Et dans le cas des significations poétiques, parce qu’il ne s’agit que de métaphores.

    La lumière n’est pas une croyance : c’est un réceptacle, un sujet nu, un canevas. Les croyances, ce sont les propositions qui l’habillent.

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    1. Bien-sûr que ce sont les hommes qui tuent. Mon « modus » est justement d’évoquer la croyance.

      « La lumière n’est pas une croyance : c’est un réceptacle, un sujet nu, un canevas. Les croyances, ce sont les propositions qui l’habillent. »

      Oui :-). Et cela a rapport à l’être. J’ai fini par comprendre l’être en lisant le poème de Parménide.

      La difficulté pou moi est que vous suivez la logique aristotélicienne, celle de l’être. Je ne connais personne qui ne la suive pas. La base de mon raisonnement est que l’ontogénèse retrace la phylogénèse. Lorsqu’un enfant apprend des connaissances (des croyances), il retrace la façon dont nos ancêtres ont créé les mots. Avant cela, pour lui, la lumière est un « sujet nu. » Ainsi, je me demande, par exemple, comment j’ai appris l’être (en faisant quoi). Une autre façon de le trouver est de chercher comment vivaient les gens avant qu’il n’apparaisse et après (le plus proche est Parménide).

      Avant Parménide, bien avant, l’écrit est apparu. Nous avons une vision erronée de l’écrit. Nous pensons qu’il sert à retranscrire l’oral ou encore que l’écrit ce sont des mots composés de lettres. Or, l’écrit est avant tout une image que nous pouvons nous représenter. Le mot atome désigne avant tout cette image d’un noyau autour duquel tourne des électrons. Et le mot composé de lettres décrit cette image. Avant l’écrit, il ne pouvait pas y avoir de mots qui ne désignaient rien, dont nous n’aurions pas pu dessiner ce qu’ils désignaient, comme le temps ou la conscience. Je précise qu’il y a des mots que je ne sais pas situer, comme la lumière qui se voit mais que nous ne pouvons pas dessiner, ou le mot esprit qui désigne chez les amérindiens la mémoire d’un ancêtre qui est quelque chose que l’on peut voir dans ce qu’il nous a appris (comme nous pourrions parler de l’esprit d’Einstein qui nous permet d’avoir le GPS).

      Il faut donc distinguer le mot écrit, un dessin d’une poule, d’une licorne, d’un atome, d’un dinosaure, et le mot oral qui désigne les poules, les licornes et les dinosaures, ainsi que les atomes dont nous ne voyons que des effets (le résultat d’expériences). Donc, imaginez que vous soyez, disons 4 ou 5 mille ans en arrière, et que vous ayez une porterie chez vous sur laquelle est dessiné, disons une poule. Ce dessin est un mot, ce n’est que par la suite que nous consulterons un dictionnaire qui décrira la poule. Donc, vous avez cette poterie.

      Vous pouvez vous représentez cette poule, comme vous pouvez vous représentez celles qui sont dans votre poulailler, vous pouvez même en rêver. Or, cette poule (le mot) ne désigne pas les poules. Elle a une fonction, il faut faire quelque chose pour la voir, comme il faut faire quelque chose pour voir un atome. Le mot est un outil ou un modèle (je ne sais quel mot utiliser). Vous pouvez voir le dessin d’une licorne et si vous voulez en voir une, il faut chercher des licornes (faire quelque chose). Une façon intéressante de l’appréhender est d’aller voir un film sur les dinosaures. Lorsque vous allez visiter un poulailler, vous voyez que toutes les poules sont distinctes, vous pourriez chacune leur donner un nom. Dans un film sur les dinosaures, ils sont semblables, car ce que vous montre le réalisateur ne sont pas des dinosaures que quelqu’un aurait vu, mais le mot, le modèle défini par des paléontologues. Or, vous ne le distinguez pas.

      Avant l’écrit, les gens parlaient de ce qu’ils voyaient, et après l’écrit, ils pouvaient parler de ce qu’ils voyaient et des mots. Ce qui conduisait à des confusions. Il devenait possible de dire n’importe quoi, que cette chèvre qui avait disparu avait été mangée par la déesse poule représentée sur la poterie. Je ne sais pas comment est apparu le verbe être, mais le poème de Parménide est assez clair pour comprendre que le verbe être a été créé pour éliminer cette confusion. C’est la naissance de la pensée, car il précise que « l’être et le pensé sont une même chose ». Le verbe être n’est donc pas un simple lien, c’est ce qui permet de penser les choses, de ne pas dire n’importe quoi. Lorsque je dis que ceci que je vois est une poule, je distingue le modèle, l’être de la poule, et les poules que je peux ou pourrais voir. Dans le cas de la licorne ou du dinosaure, nous n’avons que l’être (le modèle) car personne n’en a jamais vu.

      Et là nous avons la clef de tout, car l’être (le modèle) n’est pas le mot. Apparemment, personne ne pouvait appréhender à cette époque que la confusion provenait des mots eux-mêmes. Aussi, nous n’avons bien fait que retranscrire l’oral à l’écrit, car personne n’a jamais fait le lien entre les deux, c’est l’être qui a permis de le faire. Cela signifie que l’être est une croyance, car il ne désigne rien, nous ne pouvons pas dessiner ce qu’il représente. Et cette croyance nous cache que les mots ont été créés par l’homme, que ce sont des modèles ou des outils. Aussi, nous cherchons, en pensant ce que sont les choses, d’où provient notre connaissance des mots, des dieux selon Platon, ou de l’induction (nous dirions de l’intelligence de nous jours) selon Aristote. C’était là leur principal point de désaccord.

      L’être en soi n’élimine pas la confusion, il faut donc chercher la vérité qui ne concerne que les êtres (les modèles). Dès que nous confondons la poule (l’être de la poule) et les poules (qui sont la poule), nous créons des paradoxes. Je suppose que c’est pour cela qu’Aristote a créé la logique, pour chercher la vérité, non pas dans ce que nous disons, mais dans ce que nous pensons. Il n’y a pas de vérité dans ce que nous disons. Ce que nous apprenons à l’école est ce que « sont » les choses, ce que nous ne pourrons jamais trouver, car cette question nous cache (nous fait ignorer) le mot. Lorsqu’un enfant demande pourquoi il y a des nuages, nous lui répondons une vérité respectant la logique, que le nuage provient de l’évaporation de l’eau, alors qu’il se demande pourquoi il le reconnaît (à partir d’un modèle) ou encore il se demande pourquoi il voit des nuages et pas de licornes ou de fées (que nous lui avons montrées également). C’est pourquoi toutes les propositions sont des croyances qui peuvent être vraies ou fausses.

      Maintenant que j’ai dit cela, je ne suis pas certain que vous puissiez appréhender, disons l’étendu des dégâts. Nous n’avons jamais eu besoin de penser. Cela n’aurait pas empêché de créer des ordinateurs, mais nous n’aurions plus à nous battre pour savoir qui a raison, par la même de tuer pour des croyances.

      Quant à la poésie, je ne sais pas. Je n’ai toujours pas compris de quoi il s’agissait. Je dirais que la Bible est plutôt une histoire que de la poésie. A contrario, la science ce sont des croyances, tout autant que la religion.

      J’espère que je ne prends pas trop de votre temps ?

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  4. « Avant Parménide, bien avant, l’écrit est apparu. Nous avons une vision erronée de l’écrit. Nous pensons qu’il sert à retranscrire l’oral ou encore que l’écrit ce sont des mots composés de lettres. Or, l’écrit est avant tout une image que nous pouvons nous représenter. »

    En fait, je pense que l’écrit, c’est tout ça à la fois (et plus encore), sauf pour la retranscription de l’oral : l’écrit peut n’être ou ne pas être une retranscription. Et je pense que cela correspond assez bien à l’idée que le monde savant se fait de l’écrit. Je ne pense pas que « nous » ayons une vision monolithique de l’écriture.

    « Avant l’écrit, il ne pouvait pas y avoir de mots qui ne désignaient rien, dont nous n’aurions pas pu dessiner ce qu’ils désignaient, comme le temps ou la conscience. »

    Je trouve qu’il est hasardeux de l’affirmer. N’oubliez-vous pas toute la dimension du symbole? Les hommes avaient depuis longtemps découvert le monde des esprits et celui du religieux et ils pouvaient très bien représenter les concepts qui en émanent par le moyen de symboles, notamment ceux que nous pouvons observer par le truchement des œuvres artistiques.

    « Il faut donc distinguer le mot écrit, un dessin d’une poule, […] et le mot oral qui désigne les poules […]. »

    Je pense que vous mettez trop l’accent sur la dichotomie écrit/oral. Je peux très bien désigner à l’oral la poule réelle que nous voyons tout comme je peux évoquer la poule théorique. Tout est affaire de contexte. Une autre question est de savoir si je peux, à l’écrit, désigner la poule réelle. Si je place un écriteau au-dessus d’une poule réelle et que j’écris « poule » dessus avec une flèche qui pointe vers la poule, n’est-ce pas cela que je fais? Le fait que cet exemple soit bébête montre tout de même que l’écrit est plus apte à évoquer qu’à désigner. Peut-être avez-vous utilisé la dichotomie oral/écrit afin de vous faire comprendre? Si c’est le cas, je vous propose que nous nous en tenions à cette dichotomie fonctionnelle selon laquelle tantôt nous désignons et tantôt nous évoquons.

    « Or, cette poule (le mot) ne désigne pas les poules. Elle a une fonction, il faut faire quelque chose pour la voir, comme il faut faire quelque chose pour voir un atome. Le mot est un outil ou un modèle (je ne sais quel mot utiliser). Vous pouvez voir le dessin d’une licorne et si vous voulez en voir une, il faut chercher des licornes (faire quelque chose). Une façon intéressante de l’appréhender est d’aller voir un film sur les dinosaures. Lorsque vous allez visiter un poulailler, vous voyez que toutes les poules sont distinctes, vous pourriez chacune leur donner un nom. Dans un film sur les dinosaures, ils sont semblables, car ce que vous montre le réalisateur ne sont pas des dinosaures que quelqu’un aurait vu, mais le mot, le modèle défini par des paléontologues. Or, vous ne le distinguez pas. »

    Certes, le mot « poule » évoque le modèle théorique de la poule à mon esprit. Et cette évocation fonctionne sur la base d’une approximation : nous approximons le réel afin d’en faire un modèle théorique. La poule réelle est approximée en la poule théorique. Or, la condition pour que cette poule théorique soit opérante, pour qu’elle puisse avoir une signification quelconque à mon esprit, c’est qu’elle ne doit pas être complètement découplée de la poule désignée. La poule théorique signifie quelque chose pour moi parce que j’ai le souvenir d’une poule réelle à quelque part dans le fond de ma cervelle. Et si je n’avais jamais rencontré de poule réelle, alors la poule théorique aurait pu avoir une signification à mon esprit dans la mesure où il aurait par exemple été dit que la poule est un animal : je me serais alors reposé sur le souvenir de mon chat et j’aurais approximé qu’une poule doit être semblable à mon chat.

    Il en va de façon semblable même pour quelque chose d’aussi abstrait que l’atome. Comment enseigne-t-on la physique, de façon générale? Par le moyen de cours théoriques qui sont toujours accompagnés de laboratoires. La raison en est que l’appareil théorique n’a aucun sens pour l’étudiant s’il ne prend pas appui sur une réalité qu’il peut désigner. La théorie prend toujours appui sur le réel car sinon, elle s’écroulerait. La licorne a du sens pour l’enfant parce que c’est un cheval avec une corne et que ces 2 choses peuvent être désignées.

    « Avant l’écrit, les gens parlaient de ce qu’ils voyaient, et après l’écrit, ils pouvaient parler de ce qu’ils voyaient et des mots. Ce qui conduisait à des confusions. Il devenait possible de dire n’importe quoi, que cette chèvre qui avait disparu avait été mangée par la déesse poule représentée sur la poterie. Je ne sais pas comment est apparu le verbe être, mais le poème de Parménide est assez clair pour comprendre que le verbe être a été créé pour éliminer cette confusion. C’est la naissance de la pensée, car il précise que « l’être et le pensé sont une même chose ». Le verbe être n’est donc pas un simple lien, c’est ce qui permet de penser les choses, de ne pas dire n’importe quoi. Lorsque je dis que ceci que je vois est une poule, je distingue le modèle, l’être de la poule, et les poules que je peux ou pourrais voir. Dans le cas de la licorne ou du dinosaure, nous n’avons que l’être (le modèle) car personne n’en a jamais vu. »

    Je doute fort que le verbe être ait été créé à cette seule fin. Je pense que c’est l’avènement de la philosophie en général qui témoigne de la volonté de ne pas dire n’importe quoi. Il fallait aux hommes une « discipline » de la pensée. Cette discipline a fini par donner lieu à la science, laquelle stipule que le théorique doit toujours rester lié au réel (grosso modo). Nous pourrions dire que la science est un aboutissement « législatif » de cette recherche philosophique.

    Maintenant, le problème est effectivement que ce travail législatif omet complètement la nature rhétorique du langage. J’ai l’intuition de cette nature foncièrement rhétorique, vous l’avez lu sur mon blogue et c’est peut-être d’ailleurs ce qui a attiré votre attention, et vous avez aussi cette intuition. C’est-à-dire que, comme vous le dites, les mots servent à faire faire quelque chose aux gens, ce sont des outils. Or, la science n’échappe pas à cela. Elle fait mine que cela n’existe pas, mais elle n’entraîne pas moins des comportements, des usages, une forme de développement précis du monde et elle n’en participe pas moins à la concurrence des différents modèles théoriques. Je n’affirme pas que la nature rhétorique du langage est « cachée » dans la science mais plutôt qu’elle en déborde, comme un mauvais souvenir refoulé qui déborde de notre esprit.

    « Maintenant que j’ai dit cela, je ne suis pas certain que vous puissiez appréhender, disons l’étendu des dégâts. Nous n’avons jamais eu besoin de penser. Cela n’aurait pas empêché de créer des ordinateurs, mais nous n’aurions plus à nous battre pour savoir qui a raison, par la même de tuer pour des croyances. »

    C’est ici que les choses deviennent intéressantes, lorsqu’il est l’heure du diagnostic. Votre réflexe est de mettre la pensée au banc des accusés, de dire qu’il y a quelque chose de fondamentalement vicié à sa base et qu’il faut donc s’efforcer de la déconstruire. Vous avez une approche radicale. Paradoxalement, cela vous rend foncièrement optimiste, dans la mesure où vous envisagez l’idée d’une « grande guérison ».

    Quant à moi, je serais plutôt prompt à penser que l’homme n’est pas malade comme vous l’entendez, mais que sa nature est tout simplement vouée au déséquilibre. Que la pensée est advenue parce que c’est un instinct que nous avons en nous, que nous ne sommes pas coupables de penser et que ce n’est pas quelque chose de foncièrement nocif. La preuve étant qu’elle a permis certains bienfaits – par exemple toutes ces inventions qui permettent de rendre l’existence moins difficile. Parlant d’inventions, vous parliez de l’ordinateur plus tôt, en disant que l’absence de pensée n’aurait pas empêché cette invention, mais cela est faux : l’ordinateur a été rendu possible parce que des personnes ont pu imaginer son fonctionnement grâce aux modèles théoriques qui leur étaient disponibles. L’ordinateur est une licorne, ou un dinosaure : c’est un amalgame théorique que nous avons ensuite pu matérialiser, comme nous pouvons matérialiser une figurine de licorne ou de dinosaure.

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    1. Je suis de plus en plus long. J’en suis désolé.

      “Je trouve qu’il est hasardeux de l’affirmer. N’oubliez-vous pas toute la dimension du symbole? Les hommes avaient depuis longtemps découvert le monde des esprits et celui du religieux et ils pouvaient très bien représenter les concepts qui en émanent par le moyen de symboles, notamment ceux que nous pouvons observer par le truchement des œuvres artistiques.”

      Emile Durkheim a écrit les formes élémentaire de la vie religieuse. Il cherchait dans les modes de vie des tribus totémiques d’Australie (qui étonnamment sont très proches de ceux que l’on trouvait en Amérique du Nord), des formes de leur vie religieuse. Il a trouvé ce qu’il cherchait, car il calquait ses croyances sur des comportements. Vous avez les mêmes croyances que lui, que les esprits ou la religion seraient inhérents à l’espèce humaine, que cela aurait toujours existé.

      C’est un biais cognitif lié à la pensée.

      Le totem est-il un écrit?

      Supposons que vous hébergiez un enfant de 5 ans qui a un don extraordinaire. Lorsque vous lui donnez du papier et des crayons, il est capable de retranscrire ce qu’il voit. Il a ainsi dessiné dix poules qu’il avait vu. A chaque dessin, il le montre en disant poule. Il nomme ce qu’il a vu de la même façon, mais ne confond pas ni les différentes poules, ni les dessins avec ce qu’il a vu. Simplement, cela ne lui sert à rien de les nommer avec un nom différent.

      Un jour, vous invitez à diner un ami zoologue. Vous lui montrez les dessins. Et il dit que celui-ci et celui-là ne “sont” pas des poules. Il prend un papier et un crayon et dessine une tête de poule, avec des yeux de poule, des pattes de poules, etc. Il a dessiné la poule qui est un assemblage de mots qu’il a pu dessiner. Nous pouvons ouvrir un dictionnaire et au mot poule, nous trouverions une définition qui pourrait être cet assemblage de mots. Il peut alors vous montrer que les deux dessins ne sont pas des poules, parce que celui-ci et celui-là n’ont pas, disons le bec d’une poule.

      Vous avez d’un côté les dessins des poules et de l’autre côté le mot écrit avec une définition. Peu importe pour l’instant comment nous passons de l’un à l’autre. L’un est un dessin et l’autre est un outil qui permet au zoologue de distinguer les poules d’autres oiseaux. L’outil ne sert qu’à cela et ce n’est pas la représentation d’une poule qu’il aurait vu.

      Vous êtes, comme Parménide, devant ce constat. La poule, celle du zoologue “est” un assemblage de mots, et ces dessins ne sont que ce que l’enfant a vu. Parménide dit “l’être et le pensé sont une même chose”. L’outil (la poule du zoologue) est ce qui vous permet de penser les poules dessinées par l’enfant, de dire que ce sont des poules. Or, le problème est que c’est faux, la pensée est toujours fausse, sinon toutes les poules seraient identiques au dessin du zoologue. Ce qui est faux dans la pensée ne peut pas se penser. C’est le non-être. Parménide n’élimine pas le non-être. Il dit seulement que nous ne pouvons pas le penser. Cela me semble simple, non?

      En pratique, cela donne quoi? Et bien vous entrez dans un poulailler et l’une des poules vient picorer dans votre main, alors qu’une autre va se terrer dans un coin et attend que vous soyez parti pour se jeter sur vos grains. Nous pouvons en parler, mais nous parlons du non-être. Si nous cherchons à le penser, nous allons dire n’importe quoi, parce que nous n’avons pas de mots pour le penser. La seule chose qui peut se penser est le lien entre le dessin du zoologue et les dessins de l’enfant, uniquement ce lien, ni le dessin du zoologue, ni les dessins de l’enfant. C’est pourquoi la pensée est toujours fausse, ou si vous préférez incomplète, mais dans un sens où elle ne pourra jamais être complète.

      Puis, nous sommes passés à Aristote et Platon. Et le problème est qu’ils se sont imposés, par là-même ils ont imposé une pensée « totalitaire », en éliminant les sophistes, tout ceux qui cherchaient à parler de ce qui n’est pas. Votre raisonnement suit la logique héritée d’Aristote. Vous êtes incapable de sortir de la pensée, pour vous tout devrait avoir une signification, une explication, bien que vous ne les ayez pas. Pour cela, vous devez utiliser des mots qui désignent des choses qui ne se voient pas. Cette poule qui se terre dans un coin, « serait » disons, “peureuse”. Ou encore, cette poule dessinée par le zoologue « serait » “théorique” et celle dessinée par l’enfant « serait » “réelle”. Vous pensez ce que vous voyez et vous refusez de voir (sans penser), parce qu’il serait “mal” de voir le non-être, d’en parler, ce ne serait pas “logique”.

      Au fil des siècles, nous avons créé des mots qui désignent des choses qui ne sont pas intelligibles et qui nous contraignent à penser ce que nous voyons, plutôt que de le voir ce qui est là devant nous. Nous refusons de voir. Nous allons chercher à nous adapter à une poule “peureuse”, voir chercher à la rendre moins “peureuse,” plutôt que de simplement accepter qu’elle se comporte ainsi. Nous allons la forcer à s’adapter à nos croyances, plutôt que de la laisser vivre, de la même façon qu’Emile Durkheim voulait que les tribus totémiques croient aux esprits et pratiquent une forme de religion.

      Revenons maintenant à Parménide. Toute pensée est fausse, donc l’être et le pensé sont une même chose est faux, parce que l’être ne se pense pas. Ce n’est pas un outil, mais une croyance. Cette croyance nous empêche de voir que les mots écrits ne sont que des outils. Et l’être n’est pas plus un mot écrit que le totem. Personne ne sait le définir, personne ne pourrait dessiner l’être, comme le zoologue a pu dessiner la poule. C’est pourquoi j’évoque l’atome, car des physiciens peuvent dessiner un atome. Cela n’a rien de théorique, c’est un outil. Si nous ne le prenons pas en tant qu’outil, que nous cherchons à le penser, nous disons n’importe quoi. Or, c’est l’objet de la science, de penser les outils scientifiques, car tout le monde apprend à raisonner selon la logique héritée d’Aristote. La science ne parle que de ce lien, ni de l’outil, ni de ce qui n’est pas. Elle est totalement aveugle.

      Je vais répondre à vos autres commentaires, mais je crains de me perdre dans mes pensées.

      “Il en va de façon semblable même pour quelque chose d’aussi abstrait que l’atome. Comment enseigne-t-on la physique, de façon générale? Par le moyen de cours théoriques qui sont toujours accompagnés de laboratoires. La raison en est que l’appareil théorique n’a aucun sens pour l’étudiant s’il ne prend pas appui sur une réalité qu’il peut désigner. La théorie prend toujours appui sur le réel car sinon, elle s’écroulerait. La licorne a du sens pour l’enfant parce que c’est un cheval avec une corne et que ces 2 choses peuvent être désignées.”

      L’atome peut être désigné tout comme la licorne, mais nous ne le faisons pas. La différence entre l’atome et la licorne, est que nous trouvons les premiers dans des laboratoires et que nous n’avons jamais trouvé de licorne. Nous nous efforçons de ne jamais faire sortir l’étudiant de ce qui se pense. Il doit donc chercher à faire la part des choses entre le “réel” et “l’imaginaire”, alors que nous lui demandons seulement d’utiliser un outil. Ce serait comme de faire un cours sur le tournevis sans jamais évoquer que ce n’est qu’un outil qui sert à visser des vis.

      “Je doute fort que le verbe être ait été créé à cette seule fin.”

      Je n’ai pas trouvé comment le verbe être avait été créé.
      Cependant, chaque mot ne sert qu’à une seule chose.

      “Je pense que c’est l’avènement de la philosophie en général qui témoigne de la volonté de ne pas dire n’importe quoi. Il fallait aux hommes une « discipline » de la pensée. Cette discipline a fini par donner lieu à la science, laquelle stipule que le théorique doit toujours rester lié au réel (grosso modo). Nous pourrions dire que la science est un aboutissement « législatif » de cette recherche philosophique.”

      C’est ce que croyaient les philosophes. Cela a conduit à ce que la science soit un amoncellement de croyances. Nous parlions de l’écologie. Réfléchissez à ce qu’est l’énergie.

      En France, les centrales nucléaires sont peu utilisées la nuit et nous ne pouvons pas les arrêter. Elles sont utilisées pour faire remonter l’eau dans les barrages qui pourront produire de l’électricité dans la journée en faisant redescendre l’eau dans des turbines.

      L’énergie est une croyance, car nous ne parlons pas de l’outil (basée sur la croyance dans le temps), mais de ce qu’elle est (ce qui se pense). La science qui en parle est donc une religion, disons même satanique. Il n’y a pas besoin d’énergie pour descendre une rivière en bateau, il y en a besoin pour la remonter. L’outil permet de le faire (d’avoir créé des outils pour le faire). La croyance nous dit si nous devons le faire ou pas, parce que l’énergie pourrait être bonne ou mauvaise. De la même façon que nous pourrions chercher à transformer notre poule “peureuse” en une poule qui viendrait picorer dans notre main, parce que nous “pensons” que c’est mieux.

      Mon exemple est incomplet. Je n’arrive pas à montrer le biais cognitif qui nous laisser penser qu’il y aurait une énergie quand nous descendons la rivière, alors que nous parlons du non-être. Si nous le considérons comme le non-être, la question est alors: avons-nous besoin d’énergie (de remonter les rivières en bateau)? Et comme nous ne pouvons pas le penser, cela signifie qu’il n’y a pas de réponse. Nous avons un outil, nous pouvons l’utiliser ou pas. Personne ne sait s’il est bien ou mal de le faire, si nous devons le faire, si c’est « mieux » pour nous, si cela nous « facilite l’existence ». Dit autrement, personne ne devrait l’imposer, contraindre les gens à « remonter le courant » (une image qui s’applique à tout ce que la société nous impose).

      “J’ai l’intuition de cette nature foncièrement rhétorique, vous l’avez lu sur mon blogue et c’est peut-être d’ailleurs ce qui a attiré votre attention, et vous avez aussi cette intuition…”

      Oui.

      D’ailleurs, la vérité, telle que définie par Aristote, un maître en rhétorique, est tautologique. L’idée a été de faire sortir du raisonnement ce qui permet de le voir (les prémisses).

      “C’est ici que les choses deviennent intéressantes, lorsqu’il est l’heure du diagnostic. Votre réflexe est de mettre la pensée au banc des accusés, de dire qu’il y a quelque chose de fondamentalement vicié à sa base et qu’il faut donc s’efforcer de la déconstruire. Vous avez une approche radicale. Paradoxalement, cela vous rend foncièrement optimiste, dans la mesure où vous envisagez l’idée d’une « grande guérison ».

      Je ne recopie pas la suite de votre propos.

      Je ne crois pas qu’il aurait pu en être autrement. Je ne sais pas s’il y aurait eu un ordinateur sans la compétition induite par la pensée. Enfin, je suppose que vous n’êtes pas certain de ce que vous avancez. Qu’est-ce qui rend notre existence plus facile parmi ce que nous avons inventé?

      Je pense avoir évoqué ce qui me gêne. Ce qui est embêtant n’est pas tant que Parménide est inventé la pensée (ou l’un de ses prédécesseurs), c’est que quelqu’un l’ait imposé (peu importe que ce soit Platon ou Aristote). Cela nous a fait basculer dans une forme d’ignorance. C’était la doxa imposée à l’époque. C’est ce qu’aujourd’hui nous appellerions du totalitarisme. Et cette doxa est qu’il est interdit de parler du non-être, nous devons le penser, ce qui est en soi absurde. C’est ce que cherchait à dire ceux qu’Aristote, Platon et d’autres ont voulu faire taire. Comme Zénon, par exemple que j’aime bien et qui passe encore pour un idiot aujourd’hui.

      C’est là où je vois une impasse. La pensée conduit à cela, à ce qu’il y ait une vérité, quelque chose qu’il FAUT faire (et pas que l’on PEUT faire), parce que ce serait la vérité. Je ne sais pas si l’on peut se passer de penser. Je dis que si nous avions « l’autorisation » de parler du non-être, de ne pas croire en la doxa, qu’elle soit gouvernementale ou scientifique, nous n’aurions pas besoin de penser, et qu’il n’y aurait plus de besoin d’imposer des pensées (des croyances). Ce qui rend cela difficile est qu’avant cela nous devons apprendre à distinguer que les mots sont des outils, sinon nous allons continuer à dire (‘et croire) n’importe quoi.

      C’est ce que j’essaye de faire, mais vous ne le percevez pas. Quand j’ai pris l’exemple de l’enfant et du zoologue, je parlais du non-être. J’essaye de vous faire voir ce que vous cherchez à penser, mais je n’arrive pas à vous empêcher de le penser, alors qu’il n’y a rien à penser. L’homme a des mains qui lui permettent de créer des outils. Il n’y a rien à penser.

      “Je ne fais pourtant de tort à personne en laissant courir les voleurs de pommes.”

      Après, avoir dit tout cela, est-ce que selon vous le vol est ce que peut dessiner un enfant ou ce que peut dessiner un zoologue? La réponse est ni l’un, ni l’autre. C’est une pensée qui cherche à penser le non-être. Il n’y a pas de vol dans le non-être, comme il n’y a pas de poule “peureuse”. Le vol, comme toute croyance, est ce que quelqu’un a dit, ceci est un vol et pas cela. Ceci est la raison (ce qui est la pensée logique) et pas cela, ceci est la réalité (l’atome) et pas cela (la licorne). Ce ne sont que des croyances. Il faut chercher dans le non-être pourquoi nous les avons créées (pour résoudre quel problème lié à l’interdiction du « non-être »).

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    2. Si ce que j’ai répondu ne vous semble pas clair, je vous propose de ne pas y répondre.
      Je pense avoir trouvé un moyen de l’exprimer plus clairement, mais cela me prendra plusieurs jours. Je le publierais peut-être sur mon blog. Je vous tiendrais au courant.
      A contrario, si cela vous semble suffisamment clair, je suis intéressé par votre réponse.

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    3. Bon, je ne sais pas si cela va vous intéresser.

      L’évolution biologique n’est qu’une croyance, tout comme le créationnisme. Il en va de même de la science. Il me semble que c’est justement ce que montre la poésie.

      Il y a d’ailleurs un phénomène intéressant qui se nomme, je crois, l’objectivité. C’est d’ailleurs ainsi que je reconnais un scientifique. Il va dire tout et son contraire pour finalement dire ou faire voir qu’il ne sait rien. Un scientifique qui saurait quelque chose n’est pas objectif. Si vous ou moi faisions croire que nous étions des scientifiques, nous penserions savoir quelque chose, nous ne serions pas objectifs. J’ai un exemple représentatif d’un scientifique (objectif) qui parle de la virologie, si cela vous intéresse.

      Je pense avoir répondu à pourquoi il en est ainsi : https://lantiopinion.wordpress.com/2022/09/11/mathilde-et-clotilde/

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