C’est une drôle de chose que le besoin d’écrire. Pourquoi m’installer à mon bureau et me saigner à former des phrases cohérentes qui elles-mêmes s’assemblent en des touts qui se veulent cohérents, au lieu de tout simplement réfléchir pour moi-même, assis bien confortablement dans un coin douillet de ma maison ? Cela serait après tout tellement plus simple et plus naturel. Pourtant, je ne puis le nier, j’ai bel et bien besoin d’écrire et il ne me suffit pas de réfléchir pour moi-même. Évidemment, une langue bien pendue saisirait certainement cette occasion pour expliquer le phénomène en m’accusant d’une quelconque forme de narcissisme: « cet homme veut être vu ! » dirait-il, « il a besoin d’être vu pour se sentir exister ! » Peut-être même enchaînerait-il sur la vocation proprement narcissique de la blogosphère. Ce à quoi l’usage voudrait que je m’insurge énergiquement en rappelant que je ne suis préoccupé que par le noble exercice de la philosophie. Mais voilà: le fait est que je ne m’insurgerais pas du tout et cela pour la bonne raison qu’il y a une part de vérité là-dessous.
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Ars Rhetorica #4: Puissance de la grisaille
Même le discours le plus rationalisant, le plus littérairement rêche et gris fait de sa grisaille un procédé rhétorique: celui par lequel il prétend justement être au-dessus des procédés rhétoriques et, corollairement, que tout son contenu découle d’une dialectique froide et impartiale. Ou mieux: d’une dialectique divine. Lire la suite « Ars Rhetorica #4: Puissance de la grisaille »
Résolution nocturne #5
La philosophie est en bonne partie une constante lutte contre le conformisme qui s’incruste dans les multiples replis de la culture et de la pensée. Le philosophe veut activer ce qui s’affaisse, ébranler ce qui est pétrifié en un ciment de certitudes, déranger ce qui se laisse couler dans le confort capitonné de l’habitude. Et cela n’exclut certainement pas ce qui manifeste ces caractéristiques au sein de sa propre personne. Lire la suite « Résolution nocturne #5 »
Pourquoi écrire des poèmes d’amour ?
Il semble parfois inconvenant de dire « je t’aime » selon les usages admis, normalisés, stéréotypés de ce mot et de toutes les expressions qui s’y rapportent. En fait, il semble parfois inconvenant de signifier que l’on aime, point barre. Pourquoi? Parce qu’il y a, dans l’expression « je t’aime » quelque chose qui relève de l’utilité, de l’économie du couple; quelque chose qui tire la communion amoureuse vers sa nature industrieuse. La pleine intimité de la communication amoureuse y est sacrifiée au nom de l’efficacité. Lire la suite « Pourquoi écrire des poèmes d’amour ? »
Bagatelle #3: Le poète
Le poète ? Il n’est pas un révélateur de paradoxes comme peut l’être le philosophe. Il est le paradoxe. Il s’engouffre dans cette plaie et se laisse couler jusqu’au revers de la toile langagière qui recouvre le monde. De cette position, il a tout le loisir de se jouer des mots, de les subvertir comme cela lui chante, de les détourner de leur fonction originelle, de les extirper du règne auquel ils sont dédiés: celui de l’utilité. La poésie est toujours une affaire de rébellion. Lire la suite « Bagatelle #3: Le poète »
Bagatelle #2: Le monde et le dire
Si le monde est recouvert par une toile langagière, alors qu’est-ce que ce monde dont je parle sinon l’une des fibres de cette toile ? Et dans ce cas, y’a-t-il réellement un monde qui se trouve en-dessous, ou ne parlons-nous jamais de quelque chose dont nous n’avons aucune idée ? Tout n’est-il qu’un jeu d’apparences comme le supposait Nietzsche ?
Lorsque le poète nous susurre ces mots: dit tout sans rien dire, de quel dire parle-t-il ? Chose certaine, il disqualifie d’emblée ce que nous entendons habituellement par dire, soit de désigner selon une cohérence logique. Cela signifie donc qu’il y a un sens plus fondamental au verbe dire, qui doit recouvrir à la fois ses acceptations logiques et poétiques. Lire la suite « Bagatelle #2: Le monde et le dire »
Comment je me suis égaré puis retrouvé
Lors de la rédaction de mon dernier article Dompteur à la recherche de l’intériorité perdue, il y a eu un moment où j’ai malheureusement complètement perdu le sens de ce que j’avais à écrire. Beaucoup d’idées foisonnaient dans le sillage de cet ouvrage mais en revanche, le fil conducteur m’était devenu invisible et les mots ne formaient plus qu’un fatras incohérent. Il faut dire, en toute modestie, que le sujet était complexe et qu’il fallait beaucoup de doigté pour ne pas faire basculer le tout en un complaisant festival de considérations abstruses. Puis, dans une rubrique complètement étrangère au sujet de l’intériorité, intitulée Résolution nocturne #3, Hervé Bourgois m’a dit « le bon chemin est toujours le nôtre* ». Cette remarque a eu l’effet inespéré de sauver du naufrage l’épineux article que je n’arrivais pas à terminer. Lire la suite « Comment je me suis égaré puis retrouvé »
Dompteur à la recherche de l’intériorité perdue
« Guérir son enfant intérieur. » « Se plonger dans un dialogue intérieur. » « Se connecter à son être intérieur. » « Combler son vide intérieur. » « Retrouver la paix intérieure. » « Rassembler les conditions de la guérison intérieure. » « Laisser renaître l’enfant intérieur. » « Opérer avec l’ego intérieur. » « Libérer le hamster intérieur. » « Trouver la paix intérieure. » « Rencontrer son chamane intérieur. » « Sortir du labyrinthe intérieur. » « Réveiller le bébé intérieur. » « Entrer en relation avec son parent intérieur. » « Écouter son monde intérieur. » « Découvrir son âge intérieur. » « Pourrir de l’intérieur. » « Maîtriser l’ennemi intérieur. » « Se réconcilier avec son enfant intérieur. » « Bâtir le couple intérieur. » « Voyager dans l’espace intérieur. » « Entrer dans la lumière du Dieu intérieur. » Lire la suite « Dompteur à la recherche de l’intériorité perdue »
No man’s land
Je ne me rappelle plus beaucoup de mes voyages d’enfance sur les côtes de la Nouvelle-Angleterre. Quelques lambeaux d’images ou d’impressions filtrent bien encore jusqu’à mon esprit : l’allure générale d’une rue, d’une plage, la couleur d’un ciel, d’un motel, le bruit des vagues, des cris d’enfants, un château dans le sable, une odeur saline mêlée à l’effluve des hot-dogs grillés. Mais tout cela est fuyant et ne forme plus qu’une mosaïque disparate, et bien peu sensée – pour autant que l’on considère que le sens du passé ne tient qu’à la capacité que nous avons de le reconstituer. Du reste, je ne suis plus certain de la provenance réelle de ces réminiscences: peut-être ne s’agit-il après tout que d’un collage fictif de sensations tirées d’événements d’une nature complètement différente ou même empruntées à des œuvres cinématographiques. Lire la suite « No man’s land »
Defeaco ergo sum
Le temps était sans doute venu de rompre la grâce de cet espace blogosphérique au moyen d’une bonne grosse proposition scatologique. Tout commençait à y devenir si aimable, si édifiant que j’en hoquetais d’angoisse. C’est plus fort que moi: lorsque l’amabilité se déploie en trop fortes doses autour de ma personne, mon esprit se trouve envahi par tout un contingent de pensées vicieuses et impertinentes qu’il me tarde de répandre dans le monde, comme un clown mal embouché. Étrange retournement d’une bonne volonté qui cherche sa plénitude dans sa propre négativité. Lire la suite « Defeaco ergo sum »