L’un des grands écueils de la pensée rationaliste ayant cours en Occident depuis l’avènement de la modernité, c’est qu’elle nous fait ramener les choses du monde et de la pensée à des éléments unitaires, isolés et supposément autonomes. Si la raison est effectivement un instrument qui tranche le réel et le débite en menues petites rondelles, seul le rationaliste s’y abandonne au point de croire en un monde passé au hachoir. Par exemple, sous l’égide d’une pensée rationaliste, la forêt n’en est plus une : c’est un agglomérat d’arbres. Et l’arbre n’en est plus un : c’est un agglomérat de feuilles et de branches. De même que la société n’en est plus une : c’est une masse d’individus atomisés et soi-disant « libres » (j’ai des haut-le-cœur à la seule écriture de ce mot). Lire la suite « L’isolation rationaliste »
Catégorie : Ontologie
Le brasier du monde
C’était le jour de Noël et, assis sur un vieux fauteuil grinçant, je contemplais avec amour le feu que je venais d’allumer. Bercé par les lumières chatoyantes du brasier et les crépitements qui s’échappent de l’âtre, je me mis alors à songer que l’ensemble des petits gestes qui président à la préparation d’un bon feu constitue certainement l’un des plus grands bonheur de la vie. Il y a en effet un indicible et fascinant quelque chose dans le plaisir de fendre le bois – un plaisir rendu franc par la violence du contact avec la matière, puis dans l’étreinte donnée aux bûches pour les transporter jusqu’au lieu d’immolation, et ensuite dans le tourbillonnement des caresses olfactives, doucement dispensées par ces si précieux matériaux que sont érables, bouleaux, cèdres et autres trembles. C’est enfin dans le moment solennel où les cylindriques victimes sont empilées sur l’autel métallique, prêtes à être sacrifiées pour le seul agrément des convives rassemblés. Lire la suite « Le brasier du monde »
Bagatelle #2: Le monde et le dire
Si le monde est recouvert par une toile langagière, alors qu’est-ce que ce monde dont je parle sinon l’une des fibres de cette toile ? Et dans ce cas, y’a-t-il réellement un monde qui se trouve en-dessous, ou ne parlons-nous jamais de quelque chose dont nous n’avons aucune idée ? Tout n’est-il qu’un jeu d’apparences comme le supposait Nietzsche ?
Lorsque le poète nous susurre ces mots: dit tout sans rien dire, de quel dire parle-t-il ? Chose certaine, il disqualifie d’emblée ce que nous entendons habituellement par dire, soit de désigner selon une cohérence logique. Cela signifie donc qu’il y a un sens plus fondamental au verbe dire, qui doit recouvrir à la fois ses acceptations logiques et poétiques. Lire la suite « Bagatelle #2: Le monde et le dire »
Dompteur à la recherche de l’intériorité perdue
« Guérir son enfant intérieur. » « Se plonger dans un dialogue intérieur. » « Se connecter à son être intérieur. » « Combler son vide intérieur. » « Retrouver la paix intérieure. » « Rassembler les conditions de la guérison intérieure. » « Laisser renaître l’enfant intérieur. » « Opérer avec l’ego intérieur. » « Libérer le hamster intérieur. » « Trouver la paix intérieure. » « Rencontrer son chamane intérieur. » « Sortir du labyrinthe intérieur. » « Réveiller le bébé intérieur. » « Entrer en relation avec son parent intérieur. » « Écouter son monde intérieur. » « Découvrir son âge intérieur. » « Pourrir de l’intérieur. » « Maîtriser l’ennemi intérieur. » « Se réconcilier avec son enfant intérieur. » « Bâtir le couple intérieur. » « Voyager dans l’espace intérieur. » « Entrer dans la lumière du Dieu intérieur. » Lire la suite « Dompteur à la recherche de l’intériorité perdue »
La Reine Éthique
Il est frappant de constater à quel point la tâche qui consiste à définir ce qu’est la philosophie peut occuper les philosophes et leurs donner de grands maux de tête. Tous les plus grands penseurs de l’histoire s’y sont essayés: Platon, Aristote, Kant, Nietzsche, Hegel – nommez-les ! Gilles Deleuze prenait ce problème tant au sérieux qu’il a attendu jusqu’à la fin de sa vie avant d’écrire un ouvrage complet entièrement consacré à cette question. Il est également assez remarquable de constater qu’il y a sans doute autant de définitions de la philosophie qu’il y a de philosophes. Lire la suite « La Reine Éthique »
Defeaco ergo sum
Le temps était sans doute venu de rompre la grâce de cet espace blogosphérique au moyen d’une bonne grosse proposition scatologique. Tout commençait à y devenir si aimable, si édifiant que j’en hoquetais d’angoisse. C’est plus fort que moi: lorsque l’amabilité se déploie en trop fortes doses autour de ma personne, mon esprit se trouve envahi par tout un contingent de pensées vicieuses et impertinentes qu’il me tarde de répandre dans le monde, comme un clown mal embouché. Étrange retournement d’une bonne volonté qui cherche sa plénitude dans sa propre négativité. Lire la suite « Defeaco ergo sum »
Pince-moi si je rêve
La pire chose, c’est de ne jamais se réveiller, c’est de dormir d’un sommeil infini. Car dormir, c’est vivre sans savoir et vivre sans savoir, c’est à peine vivre : c’est vivre sans goûter le sens de la vie. L’expérience humaine ne révèle toute sa profondeur que lorsqu’elle est vécue dans la pleine lumière de l’éveil. Dans le sommeil, tout se réduit au déroulement tranquille d’une mécanique biologique éprouvée par des millions d’années d’évolution – où le système respiratoire fait son travail de respiration, le système digestif son travail de digestion, le système circulatoire son travail de circulation, etc. Et tout cela tourne impassiblement, comme tournent les planètes, les étoiles et les galaxies dans le grand vide de l’univers. Un grand ballet insensé, quoique magnifique. Je plains les planètes, les étoiles, les galaxies, ainsi que tout ce qui dort d’un sommeil infini: ils ne sauront jamais ce qu’est la fulgurance de s’éveiller à la vie. Lire la suite « Pince-moi si je rêve »