Parmi tout l’appareil conceptuel qui est en train de s’ériger autour de la crise écologique que nous avons commencé à traverser, il y a un mot menaçant qui nous surplombe telle une épée de Damoclès, et dont nous avons à peine commencé à prendre la mesure: je parle de la décroissance. Car effectivement, la résolution de la crise impliquera nécessairement une diminution marquée de la croissance économique des sociétés humaines. Cette nécessité est démontrée d’abord par les indicateurs statistiques qui nous montrent que la quantité des émissions de gaz à effet de serre (GES) est à peu près parfaitement corrélée à la croissance économique. Autrement dit, plus nous croissons économiquement, et plus nous émettons de gaz à effet de serre. C’est aussi simple que cela. Et donc, afin que la terre retrouve son équilibre thermodynamique, les sociétés humaines devront décroître économiquement.

Maintenant, nous pourrions penser que l’innovation technologique et le développement durable nous permettrons de croître économiquement tout en réduisant les émissions de GES. Or, il n’en n’est rien. Certaines innovations ont évidemment un impact sur la quantité de gaz émis, mais cet impact n’est pas suffisant. En effet, comme l’illustre le graphique qui précède, tout le soi-disant virage du développement durable des vingt dernières années n’a eu aucun impact significatif, ou du moins suffisant sur la corrélation entre les émissions et le PIB. Cette situation s’explique notamment par le fait que chaque nouvelle innovation stimule le cycle de la consommation et par le fait même la croissance économique, qui à son tour suppose de nouvelles émissions.
Cela est sans compter que les solutions miracles n’existent pas et que les nouvelles technologies dites « vertes » entraînent souvent de nouveaux problèmes écologiques. Par exemple, l’extraction des minéraux qui sont nécessaires à la fabrication des automobiles électriques crée de véritables zones de dévastation dans les pays d’où ces minéraux proviennent1. Également, l’alimentation de ces voitures en appelle à de nouvelles sources d’énergie électrique qui sont elles-mêmes émettrices de GES. Ainsi, dans certains pays desservis par un réseau électrique dit « propre », l’automobile électrique pourra effectivement conduire à de réelles diminution des émissions mais en revanche, dans certains pays qui produisent leur électricité à l’aide par exemple du charbon, les émissions seront même susceptibles d’augmenter2.
La décroissance est donc inévitable disais-je, et elle pourra ou bien être forcée par la nature – via l’effet du dérèglement climatique et de l’épuisement des ressources3 – ou bien être choisie par l’homme. Dans le premier cas, le choc sera terrible et dans le deuxième, nous nous serons à tout le moins donné le temps de gérer ce choc. Il vaut donc mieux choisir la décroissance. Pour une économie, décroître signifie, de façon très concrète, une diminution dans la production de biens et de services. Afin qu’une telle diminution advienne, il est nécessaire que chacun se mette à moins consommer et ce, encore une fois, de manière forcée ou volontaire. Il semble préférable de choisir de consommer moins afin de prendre le temps de s’adapter à un nouveau mode de vie, plutôt que de devoir y être éventuellement forcé à coups de ruptures de stock et de décrets gouvernementaux.
À première vue, consommer moins semble être la chose la plus facile du monde à faire. Après tout, la plupart des objets qui nous entourent ne sont pas vitaux ou même utiles à notre existence. Mais en réalité, la chose est beaucoup moins facile à réaliser qu’il nous paraît en raison du fait que nous avons des résistances qui nous empêchent constamment d’effectuer les choix qui semblent pourtant s’imposer. La nature de ces résistances tient à la façon même dont la consommation s’est installée dans les sociétés occidentales en tant que morale, en tant qu’organisation totale – sinon totalitaire4 – de la vie humaine.
Cette organisation totale se manifeste dans le fait que le consumérisme s’installe jusqu’au cœur de la représentation que nous avons de nous-mêmes. Pour dire les choses assez grossièrement, l’homme aliéné par la société de consommation (nous le sommes tous à des degrés divers) est un individu dont l’identité réelle, concrète et tragique s’est désagrégée en une espèce d’individualité de synthèse reconstruite avec les signes mêmes de cette société, soit ceux de la publicité ou encore ceux de la production industrielle. C’est-à-dire qu’il s’agit d’une individualité commercialisable et industrialisable, et les objets que nous achetons sont aussi, que nous en soyons conscients ou non, des signes qui expriment cette individualité de synthèse5. Ce phénomène est magnifiquement illustrée par une scène du film Fight Club, dans laquelle le protagoniste du film, un homme très précisément aliéné par la société de consommation, se demande quel ensemble de meubles IKEA le définit le mieux en tant que personne.

En plus de l’individualité, tout le jeu corollaire de la concurrence sociale se trouve aussi redéfini dans le grand théâtre de la consommation. Ainsi, lorsque nous achetons des objets, outre leur aspect purement fonctionnel (lorsque qu’ils en ont un !), c’est aussi toujours un standing social dont nous faisons l’acquisition.
Je prends l’exemple du fabuleux monde des réfrigérateurs, auquel j’ai, à ma plus grande joie, récemment dû goûter: selon mes calculs, le prix d’un modèle décent qui n’offre que les fonctions de base réellement utiles à la conservation de la nourriture périssable représente environ 16% du montant maximum potentiel qu’il est possible d’investir sur ce type d’appareil. Quant à cette portion de 84% restante dans laquelle se situent les autres modèles, elle est entièrement consacrée à des variantes esthétiques, à des fonctionnalités superflues et à des gadgets électroniques. Pourtant, ce sont précisément ces modèles qui sont les plus populaires. Pourquoi ? Parce qu’ils permettent aux acheteurs d’affirmer leur individualité et leur standing social. Après tout, comment résister à la gloire de posséder un réfrigérateur à portes françaises recouvert d’acier inoxydable ? Comment mieux affirmer sa sophistication qu’en bénéficiant d’un appareil muni d’une connectivité sans fil ?

Cette valeur qu’acquiert la consommation par le biais du standing et de la définition de notre individualité implique que la décroissance doit avoir des conséquences d’une teneur plus intime que ce que nous soupçonnons habituellement. Elle risque ainsi de nous atteindre en notre plus for intérieur. Décroître peut par exemple signifier de choisir de ne pas voyager et par le fait même de ne pas avoir d’anecdotes de voyage à raconter à ses proches, à ses collègues de bureau, ni de photos glamour à envoyer dans les réseaux sociaux. Ou encore de traîner son automobile jusqu’à ce qu’elle ne fonctionne réellement plus, quitte à ne plus pouvoir faire tourner les regards vers sa carrosserie bien luisante et même à susciter le dédain. Ce peut être de faire preuve de sobriété numérique et donc de renoncer à demeurer dans le coup de la planète Web, quitte à passer pour un péquenot. C’est choisir des aliments locaux, quitte à ne plus pouvoir impressionner les invités avec des recettes exotiques. C’est rénover sa maison uniquement lorsqu’elle en a réellement besoin et non seulement pour en faire un palais petit-bourgeois. Bref, décroître économiquement c’est, à l’échelle individuelle, voir décroître sa valeur sur le marché des ego.
Le fait que notre identité individuelle et que le jeu de la concurrence sociale soient intimement liés à la consommation et donc à l’économie nous indiquent que la décroissance n’est justement pas seulement une affaire d’économie, mais aussi de sociologie, de psychologie et ultimement, de philosophie. Car la décroissance économique suppose aussi la décroissance sociale et intérieure des individus.
Maintenant, en bons philosophes que nous sommes, il s’impose de nous demander comment nous pouvons faire de cette a priori déprimante mais éventuellement inévitable décroissance une expérience positive, d’en faire la condition d’une vie bonne. Simplement, il s’agit de garder à l’esprit que la décroissance individuelle dont je parlais ne vaut que dans le schème de valeurs de notre système consumériste. Vu d’une autre perspective, elle peut très bien devenir synonyme d’un renouveau ou même de croissance. De même que la décroissance de l’économie et du PIB n’est une mauvaise chose que dans la perspective où nous choisissons collectivement d’en faire la mesure phare de l’état de la société. Par conséquent, si nous désirons nous projeter dans les conditions d’une vie bonne malgré l’inévitable à venir, un traitement radical s’impose: nous devons envoyer par-dessus bord le socle de nos valeurs individuelles et collectives afin de les remplacer par de nouvelles.
1 Voir par exemple les magnifiques retombées écologiques de l’extraction du lithium.
2 Jean-Marc Jancovici a produit une étude intéressante sur le bilan écoénergétique de la voiture électrique. Autrement, en dehors de tout ce qui vient d’être dit, il est vrai que le rapport entre le PIB et les émissions de GES tend à s’amenuiser légèrement dans les pays les plus développés. Cependant, ce « progrès » est obscurci par deux points: soit le fait que ces pays étaient déjà les plus grands pollueurs de la planète, et deuxièmement par le fait que les économies émergentes polluent de plus en plus puisqu’elles cherchent à « rattraper » les pays développés, sans compter que les industries polluantes des pays développés sont souvent délocalisées dans ces économies émergentes.
3 Voir le rapport du Club de Rome intitulé Les limites à la croissance, publié en 1972, qui modélisait différents scénarios de dégradation, voire d’effondrement de l’économie humaine en lien avec l’épuisement des ressources. Le rapport a subi différentes mises à jour au fil du temps, dont la dernière date de 2012. Toutes ces mises à jour vont dans le sens des hypothèses de départ. Quant au moment où cette dégradation débutera, les paris sont ouverts (dans la mesure où il n’est pas déjà passé).
4 Je renvois ici à ma série d’article à ce jour inachevée sur le totalitarisme guimauve, qui développe cette idée que notre société est habitée par une sorte de totalitarisme certes soft en comparaison des totalitarismes du XXe siècle, mais non moins dangereux.
5 C’est d’ailleurs la thèse qui est développée par Jean Baudrillard dans son renversant essai La société de consommation.
Illustration: Jaio Dos Anjos, Consumer Society.
Je ne suis pas d’accord avec vous :-). C’est normal, c’est un sujet politique.
Tout d’abord, je ne sais pas si l’homme détruit la planète et en tout état de cause, la problématique du gaz à effet de serre n’est que de la propagande pour nous amener à des choses dont je ne parlerais pas ici.
Si j’élimine cette dernière problématique, je me suis un jour demandé quand la méditerranée, sans doute tout aussi polluée par le plastique que les océans, deviendrait tout aussi radioactive que l’océan pacifique.
Il est clair que les activités humaines polluent d’une façon inconsidérée et qu’il en va de la survie de chacun
Aussi, je pense que nous pouvons trouver un point d’accord sur la pollution.
Cependant, la planète s’en fiche de l’homme. Des espèces animales apparaissent ou se multiplient parce qu’elles sont favorisées par la pollution humaine. Nous ne pouvons pas revenir en arrière, car nous avons indirectement détruit les anciennes. Peut-être que l’homme ne s’adaptera pas, nous n’en savons rien.
Je suppose que comme depuis des millions d’années, des tribus préservées venues d’Afrique (la pollution touche beaucoup moins l’Afrique), remplaceront celles qui périraient dans nos contrées.
La logique que nous apprenons à l’école nous conduit à nous demander comment faire, voir à corriger ce qui a été fait, ce qui n’a pas de sens si nous ne savons pas pourquoi nous en sommes arrivés là. Plutôt que de faire un long discours philosophique, je vais vous raconter une histoire.
Peut-être avez vous lu Germinal de Zola ? Pour ma part, je suis allé visiter le musée de la mine à Douai (dans le nord de la France). En lisant Zola, nous ne pouvons pas comprendre à quel point les conditions de travail étaient abominables. Je ne vais pas le raconter, mais aucun humain qui ne serait pas contraint de le faire, ne le ferait. De même qu’aucun humain ne travaillerait comme le font les enfants en Afrique pour extraire le lithium qui permet de fabriquer les batteries de nos téléphones et des voitures électriques.
Aussi, je me suis demandé pourquoi, pourquoi faisions nous travailler ces gens dans de telles conditions. J’ai posé la question et la réponse a été: l’électrification des villes. Il n’y avait pas de demande, les gens n’avaient pas l’électricité, donc s’en passaient très bien. C’était une question de compétition: quelle ville serait électrifiée en premier entre Londres et Paris, entre Paris et Lyon.
Les gens qui n’avaient pas l’électricité s’en passaient très bien, par ailleurs, les mineurs qui travaillaient dans les mines n’avaient pas les moyens d’en profiter. Ma mère à 98 ans et me racontait comment elle vivait quand elle était jeune. Elle se passait très bien de ce qui nous parait indispensable, parce que ces choses n’étaient pas là, sans compter qu’il n’y avait pas de déchets à son époque. Nous disons, ou plutôt la propagande capitaliste nous dit que c’est le progrès, qu’il faut le faire pour les nouvelles générations, mais c’est faux, ce « progrès » sert à faire du fric. Car l’enrichissement (des riches) est une course en avant. Il ne s’agit pas de progrès, mais de progresser le plus vite possible. Ce sont les politiques qui décident qui en profitera (qui fera des profits en favorisant les voitures électriques par rapport à autre chose). Vous évoquez la croissance et il s’agit bien de cela, mais ce ne sont pas les gens qui provoquent la croissance.
Alors, bien-sûr, vous et moi, nous apprécierons d’avoir l’électricité, mais regardons en arrière. Nous aurions mis un siècle pour électrifier les villes au lieu de quelques années, d’un point de vue humain, cela ne changeait rien. Peut-être vous et moi n’aurions nous pas eu l’électricité, mais votre fille en aurait. Nous n’aurions pas été enclin à la vouloir, de même que de nombreuses personnes âgées ne veulent pas de téléphones portables ou d’ordinateurs. Par ailleurs, nous avons abandonné les mines de charbon, parce que ce n’était pas rentable (à l’époque, ce n’était pas à cause de la pollution), pour les remplacer par les centrales thermiques, puis nucléaires, et au canada par des centrales hydrauliques (en France aussi, mais pas autant). C’est cela le progrès, ce n’est pas d’électrifier les villes le plus vite possible. Aussi, d’avoir fait travailler ces mineurs n’a servi à rien. Nous aurions pu aller plus lentement, sans se préoccuper du « progrès » (des profits) et nous serions arrivés au même résultat.
Aussi, si vous considérez qu’il s’agit d’un problème individuel, il s’agit d’abord de se libérer de ceux qui nous disent ce que nous devons faire, creuser des mines de charbon, des mines de lithium (qui seront sans doute abandonnées dans quelques années comme l’ont été celles au charbon, car ce n’est pas viable), etc. Si nous prenons l’Allemagne qui a voulu se tourner le plus rapidement possible (pour faire du « fric ») vers les énergies vertes, c’est une catastrophe, car cela ne marche pas (pour des raisons que je ne vais pas développer ici). C’est pour cela qu’elle importe son électricité ou la produit avec du gaz (aujourd’hui du charbon qui produira l’électricité pour recharger les voitures électriques).
Individuellement, nous nous passons tous très bien du « progrès », de ce que nous n’avons pas encore. Ce ne sont pas les gens qui font la demande d’aller le plus vite possible pour avoir, que sais je, une maison connectée ou une navette pour aller visiter mars ou même une voiture électrique (si nos gouvernements n’en faisaient pas la propagande). Quelques uns peuvent le faire, peu importe, ce n’est pas un problème. Le vrai problème est que tout cela ne sert que ceux qui ont le pouvoir, l’oligarchie qui nous dirige. C’est à Davos où sont décidés les catastrophes écologiques de demain. Ce ne sont pas les individus, juste une poignée.
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Héhé ! Vos commentaires sont si intéressants que parfois, j’aimerais qu’ils ne soient pas des commentaires mais fassent aussi l’objet du blogue.
Je vous dirai tout d’abord que je ne prétends pas le moins du monde, avec mon article, couvrir l’entièreté de ce problème immensément complexe qu’est la crise écologique qui, comme vous le dites si bien, n’est pas seulement une crise écologique. C’est une crise civilisationnelle, une crise des valeurs, une crise de bien des choses.
Les changements climatiques ne constituent pas le fond du problème, et vous avez raison d’évoquer que cela est instrumentalisé (enfin, je vous le fais dire mais je pense que c’est ce que vous pensez) afin de stimuler une nouvelle forme de consommation. Et c’est précisément quelque chose qui me tue, le fait que dans la culture de masse, le problème soit résumé aux changements climatiques. Car cela occulte complètement le vrai problème. Même mon expression de « crise écologique » est imparfaite. Car comme vous le savez, la crise n’est pas « écologique ». Ce n’est pas l’écologie, le vivant, la terre qui sont en crise (enfin, d’un certain point de vue oui, mais vous savez ce que je veux dire). La terre s’en sortira très bien sans nous, comme vous l’évoquez. C’est l’homme qui est en crise. C’est notre façon de vivre. Vous seriez prompt à dire « l’homme occidental » mais j’hésite, car le monde dit « en voie de développement » ou « sous-développé » est déjà aligné sur les valeurs occidentales, et tous cherchent à rattraper l’Occident. Néanmoins, les termes de « changements climatiques » ou de « crise écologiques » facilitent certainement la communication puisqu’ils sont universellement admis.
En ce qui concerne la responsabilité de cette crise, je pense qu’elle est partagée. Ce que vous dites au sujet des oligarchies est vrai et vous avez raison de dire qu’il faut nous libérer de ceux qui nous disent ce que nous devons faire. Mais très précisément : cette libération est notre responsabilité. Et encore plus précisément : tout tourne autour de cela car il est raisonnablement impossible d’attendre des oligarchies qu’elles ne changent. D’où l’action individuelle de déprogrammation (qui est finalement l’objet de mon article), qu’une philosophie éclairée doit appuyer de tout son poids. Évidemment, il faudra que cette déprogrammation soit suivie par des actions collectives. Mais chaque chose en son temps. Ce que je constate ici et maintenant, c’est que la plupart des gens sont conscients du problème écologique mais sont incapables de tisser un lien entre leur façon de vivre, entre leur mentalité et ce problème. Ils voient que leurs choix sont problématiques sans être capables de choisir autrement. Ils voient que les politiques doivent changer, sans être capables de voter autrement. C’est parce qu’ils sont (nous sommes) conditionnés.
En ce qui concerne les conditions de travail du XIXe siècle, vous dites que les gens ne voulaient pas d’électricité mais je pense que vous errez. La frange bourgeoise de la société voulait de l’électricité car il est de la nature des différentes classes de la société de se distinguer et la façon de se distinguer de la bourgeoisie est d’acquérir des biens que le prolétariat ne peut obtenir.
Par ailleurs, les conditions étaient alors particulièrement exécrables parce que les ouvriers provenaient d’un afflux tout récent de personnes venues des campagnes (ce que nous appelons aujourd’hui l’exode rural) afin de trouver de l’emploi. Ces gens déracinés étaient donc particulièrement vulnérables et politiquement désorganisés.
Mais pour en revenir à la distinction des classes, le même phénomène se répète aujourd’hui, moins sous le signe des classes (bien que cela existe évidemment encore) que sous celui de la personnalisation. Il s’agit d’exprimer sa personnalité par les objets consommés.
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Je suis d’accord avec ce que vous dites.
« En ce qui concerne les conditions de travail du XIXe siècle, vous dites que les gens ne voulaient pas d’électricité mais je pense que vous errez. »
C’est comme aujourd’hui avec les voitures électriques. Ce que je dis est que le progrès signifie que quelques uns essayent, peu importe que ce soit les bourgeois. Personne d’autre ne prendrait le risque de finir sa vie carbonisé dans un incendie électrique, sans la propagande, par là-même sans la croissance. Là, nous en sommes à Icare qui vole comme un oiseau et tout le monde qui doit faire de même pour que les fabricants d’ailes puissent gagner de l’argent. Tout le monde va se brûler les ailes.
« En ce qui concerne la responsabilité de cette crise, je pense qu’elle est partagée. »
C’est là le cœur du sujet. Si un prêtre peut prêcher, c’est parce qu’il y a des gens pour l’écouter, pour croire ce qu’il dit. Et c’est le sujet de mon commentaire précédent (sur la Bible).
Les philosophes grecs ont déjà répondu à cette question en créant l’être : en pensant ce que sont les choses, nous pouvons chercher la vérité, bien que nous ne puissions jamais savoir ce qu’elles sont. Or, le plus grand monde ne fait pas cet effort qui consiste à chercher si ce qui est dit a un sens, si c’est la vérité. Les gens attendent que quelqu’un leur dise la vérité (à cause de l’être qui induit que seuls les géomètres puissent être géomètres). Il devient facile de leur mentir. Or, l’oligarchie et les hommes politiques mentent tout le temps, pas parce qu’ils seraient méchants, mais parce que leurs croyances qui pourraient être vraies ne sont pas les nôtres ou parce qu’ils ne cherchent pas la vérité.
Il y a donc quelque chose qui ne colle pas dans la philosophie et c’est justement la croyance en l’être qui est la mère de toutes les croyances (enfin de la majorité). Et pour ne plus y croire, il faut que les gens puissent croire celui qui leur dit qu’ils croient. Aussi, je ne sais pas s’il y a une solution.
Lorsque je disais que « j’essaye encore », je voulais dire que j’essayais de savoir ce qu’il faudrait dire pour que vous arrêtiez de croire. Je « crois » en une formule magique, une « licorne » qui nous ramènerait à avant l’être, pour éliminer la confusion liée à l’écrit sans utiliser l’être.
« Dompter les mots », c’est chercher à dire la vérité, à utiliser les mots à bon escient, donc à croire. Vous avez choisi une autre voie, mais le problème est le même. Vous devez faire croire que c’est la bonne.
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Pour éclaircir nos vues différentes, j’ajoute qu’en cherchant la vérité (en domptant les mots) vous vous positionnez en tant qu’aristocrate, pas dans le sens actuel, mais dans celui utilisé par Aristote. Il pensait que le meilleur système politique serait une aristocratie, dans le sens d’un groupe de « sages », plutôt qu’une démocratie (le gouvernement de tous) ou une tyrannie (le gouvernement d’un seul). On pourrait d’ailleurs déduire de ce qu’il disait que la tyrannie conduit à la démocratie et inversement. Puisque les gens croient ce qu’on leur dit, il a raison. « Dompter les mots », c’est être sage, sortir de l’idéologie, donc éviter d’imposer des choses absurdes. C’est la voie que vous suivez.
Je pense qu’une autre solution est de sortir de l’idée que nous ayons besoin d’un système politique, car son seul objet est de nous faire croire. Nous n’avons pas besoin de savoir ce que nous devons faire, par là même nous n’avons pas besoin de loi ou de morale (d’obligation).
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