La pire chose, c’est de ne jamais se réveiller, c’est de dormir d’un sommeil infini. Car dormir, c’est vivre sans savoir et vivre sans savoir, c’est à peine vivre : c’est vivre sans goûter le sens de la vie. L’expérience humaine ne révèle toute sa profondeur que lorsqu’elle est vécue dans la pleine lumière de l’éveil. Dans le sommeil, tout se réduit au déroulement tranquille d’une mécanique biologique éprouvée par des millions d’années d’évolution – où le système respiratoire fait son travail de respiration, le système digestif son travail de digestion, le système circulatoire son travail de circulation, etc. Et tout cela tourne impassiblement, comme tournent les planètes, les étoiles et les galaxies dans le grand vide de l’univers. Un grand ballet insensé, quoique magnifique. Je plains les planètes, les étoiles, les galaxies, ainsi que tout ce qui dort d’un sommeil infini: ils ne sauront jamais ce qu’est la fulgurance de s’éveiller à la vie. Lire la suite « Pince-moi si je rêve »
Catégorie : Spiritualité contemporaine
Philosophie du thé glacé
Il y a quelques jours de cela, en faisant les courses, j’ai avalé une pleine gorgée de thé glacé aromatisé aux fruits tropicaux. Il s’agissait d’un vrai thé glacé, et non de l’une de ces boissons artificielles qui en portent plus ou moins frauduleusement le nom. J’ai été horripilé. Au lieu de la douce et caressante sensation sucrée à laquelle je m’étais hypothétiquement préparé, ma bouche a été envahie par une détestable amertume. J’ai donc sèchement reposé le breuvage avec une moue de déception. Cet événement m’a troublé pendant un bon moment : comment un amateur de thé tel que moi, habitué à des infusions autrement plus terribles, avait bien pu se braquer de la sorte contre un misérable thé vert glacé ? Lire la suite « Philosophie du thé glacé »
Vrombissantes vérités
On ne dira jamais assez à quel point nos sentiments sont précieux. D’ailleurs, les philosophes de l’histoire ne l’ont pas suffisamment dit. Nos sentiments ne mentent jamais, car ils sont par essence porteurs de notre vérité la plus intime; ils disent ce que nous sommes, ce que nous vivons, ce à quoi nous aspirons. Ils ne mentent jamais et cela, en raison du fait qu’ils précèdent tout travail de notre conscience – autrement dit, parce qu’ils découlent de la plus stricte nécessité de notre corps. Les sentiments s’imposent à notre pensée comme la force gravitationnelle s’impose aux objets de la terre: c’est-à-dire d’une manière parfaitement implacable. Lire la suite « Vrombissantes vérités »
Citation de la semaine: Martin Heidegger
La douleur qu’il faut d’abord éprouver et dont il faut soutenir le déchirement jusqu’au bout est la compréhension et la connaissance que l’absence de détresse est la détresse suprême et la plus cachée, qui, du plus loin qu’elle soit, commence à peser sur nous. L’absence de détresse consiste en ceci: on se figure que l’on a bien en main le réel et la réalité et qu’on sait ce qu’est le vrai, sans qu’on ait besoin de savoir où réside la vérité.
– Dépassement de la métaphysique
Méditations d’un vieux con
Il y a quelque temps, au premier paragraphe d’un article intitulé Considération intempestive sur le fond et la forme, je me suis plu à railler la littérature de l’auteur internationalement reconnu Marc Lévy. Avec une bonne dose d’ironie, j’affirmais alors combien il est bon « […] de déguster, après un bouquin de phénoménologie particulièrement coriace, l’exquise, la fraîche, l’irrésistible suavité d’un roman de Marc Lévy! » Bien qu’amusante, il s’agissait là d’une envolée d’autant plus veule que je n’ai jamais lu un traître mot de cet auteur, et que cela ne figure pas non plus au catalogue de mes projets. Or, depuis la publication de cet article, je dois dire que j’ai été trituré par une sourde angoisse qui m’a pourchassé jusque dans l’autobus qui m’emmène chaque matin rencontrer le visage de ma destinée. Lire la suite « Méditations d’un vieux con »
La philo qui fait boum
J’aime la violence. J’aime la regarder, l’infliger et même la subir. C’est comme ça. On ne me changera pas.
J’aime lorsque Dick Laurent, dans Lost Highway – le film de David Lynch, décide de passer à tabac l’automobiliste qui le suivait d’un peu trop près: « bien fait pour lui » ne puis-je m’empêcher de penser. Je trouve jouissivement effroyable la scène dans laquelle Raskolnikov massacre la vieille usurière ainsi que sa fille dans Crime et châtiment, le chef-d’oeuvre de Dostoïevski. Dieu sait qu’il s’agit pourtant d’un moment qui donne la chair de poule. Lire la suite « La philo qui fait boum »
L’ombre de nos idées
Quiconque fréquente avec assiduité la société des créatures de l’esprit découvre peu à peu que malgré leur nature éminemment abstraite, elles manifestent parfois des caractères qui rappellent d’une manière étonnante ceux qui sont le propre des objets tangibles. Il arrive par exemple que les concepts se comportent comme s’ils étaient constitués de matière, et comme s’ils s’enchâssaient dans l’espace, y manifestant quelque solidité, quelque opacité. En effet, de la même façon que les objets qui ont leur place entre le soleil et la surface de la terre viennent obscurcir une partie de cette dernière, les concepts, lorsqu’ils se trouvent exposés à la lumière de l’esprit, projettent alors très souvent une ombre qui vient tapisser l’arrière-fond de la pensée. Et comme tout ce qui ne se présente pas à nos yeux dans la pleine clarté, notre attention est rarement dévolue au contenu de cet arrière-fond. Lire la suite « L’ombre de nos idées »
Un contradicteur
Selon mon expérience, le philosophe qui acquiert la conviction d’être parvenu à quelque soi-disant vérité est un philosophe fini. Je le dis au sens le plus littéral : cet homme-là n’est, spirituellement parlant, pas mieux que mort; aussi la seule œuvre dont il puisse encore être porteur est sa notice nécrophilosophique. Nombre d’illustres philosophes ont d’ailleurs rédigé la leur durant le cours même de leur existence – j’aurai toutefois l’amabilité de taire le nom des quelques occurrences qui me trottent en tête. Lire la suite « Un contradicteur »
Mort à la culture !
À la fin du mois de juin 1935, à la Maison de la Mutualité à Paris, eut lieu le Congrès international des écrivains pour la défense de la culture, auquel participèrent des auteurs renommés tel que Bertolt Brecht, André Gide, André Malraux, Aragon, etc. Il s’agit d’un événement d’une grande importance et dont l’influence fut immense. On y discuta de l’état de la culture européenne de l’époque, de son avenir, de ses perspectives, entre autres dans le contexte de la montée de l’ennemi fasciste. À cette occasion, le poète surréaliste Antonin Artaud fut invité à participer aux discussions mais il déclina l’offre et se contenta de rédiger une lettre incendiaire dans laquelle il varlopa sans façons la conception de la culture que ce congrès se proposait de défendre. Il y dénonça le formalisme matérialiste de son époque qui ramenait la culture à un ensemble de biens matériels, et à un ensemble de paradigmes formels. Lire la suite « Mort à la culture ! »
Citation de la semaine: Hannah Arendt
La mortalité humaine vient de ce que la vie individuelle, ayant de la naissance à la mort une histoire reconnaissable, se détache de la vie biologique. Elle se distingue de tous les êtres par une course en ligne droite qui coupe, pour ainsi dire, le mouvement circulaire de la vie biologique. Voilà la mortalité: c’est se mouvoir en ligne droite dans un univers où rien ne bouge, si ce n’est en cercle.
– La condition humaine