L’espoir est la survivance de la rage d’agir au-delà de l’impuissance. Lorsque le désir qui habite un homme a des aboutissants qui ne sont plus à sa portée, il ne lui reste plus qu’à espérer, c’est-à-dire à propulser ce qui lui reste de rage d’agir dans les hauteurs, comme on jette une bouteille à la mer, comme on couche les mots sur une feuille de papier: pour les autres, pour que l’élément de sa propre pensée leur devienne accessible et qu’ils puissent participer à son impossible édification; ou alors pour soi-même, pour se délester un moment, le temps de laisser mûrir le fruit inaccessible, le temps d’accumuler des forces fraîches et de revenir, porté par un élan nouveau. Il est par conséquent inexact d’affirmer, à l’instar d’Albert Camus, que le fait d’espérer constitue une sorte de résignation.
Toutefois, le paradoxe est ici que la substance d’un espoir sincère ne se manifeste que dans les situations désespérées, d’où sa nature par essence incertaine. Dans les situations qui offrent encore une issue, la résolution peut toujours venir de l’action. Mais lorsque la possibilité d’agir s’estompe, l’homme fait l’expérience du désespoir, qui n’est autre que la tristesse qui naît de la contradiction intérieure du désir et de l’impuissance. L’impasse est déroutante mais l’homme a cette faculté, mystérieuse entre toutes, de la dépasser et de transmuter la tristesse qui en découle en cette sorte de joie fragile qu’est l’espoir. Il voit, il sent, il a foi que malgré tout, son être recèle des forces insoupçonnées que le temps finira par exposer à la lumière du jour. C’est sans doute pour cela que l’on a souvent coutume de parler de l’espoir comme d’une « énergie du désespoir ».
Mais si la temporisation de l’action qui est le propre de l’espoir sincère ne s’effectue pas dans un contexte désespéré, alors l’espoir risque de n’être plus que le prétexte d’un renoncement, d’une lâcheté; un expédient destiné à préserver la bonne conscience du sujet. Meurtri, résigné, l’homme qui en est à cet égarement se gonfle d’aspirations; il espère, comme pour se convaincre qu’il n’a pas encore abandonné, bien qu’au fond, il n’y croit plus vraiment. Sans doute a-t-il voltigé trop loin dans l’espace de ses rêves. C’est de toute évidence cette attitude précise que la critique camusienne de l’espoir cherche à battre en brèche, tout en péchant par goût de l’absolutisme.
La seule manière de s’assurer contre cette sorte d’espoir qui mène au renoncement consiste à entretenir précieusement une sorte de dialectique entre le rêve qui donne sa forme à l’espoir, et la rage d’agir qui en est l’origine. Il s’agit de faire en sorte que le rêve, en tant que rêve, ne devienne jamais la fatalité de la rage d’agir, mais n’en soit plutôt que le moment passager. Comme l’espoir naît dans la douleur de l’impuissance, la difficulté d’une telle dialectique est qu’elle suppose la résurgence constante de cette douleur. L’homme qui frappe le mur de son impuissance peut rêver, mais s’il ne veut pas ensuite courber l’échine pour de bon, il doit éventuellement reprendre sa course, et frapper le mur à nouveau. En d’autres termes, l’expérience du désespoir doit demeurer vive en lui pour que son espoir fleurisse. Cette expérience est sa source, le suc à même lequel elle tire sa substance, sa fécondité. Enlevez-la lui et elle n’est plus qu’une plante nuisible et stérile.
La cause de l’espoir ne serait-elle pas l’incertitude?
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Pour qu’un homme espère, il faut qu’il y ait incertitude quant à la suite des choses, cela est clair.
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