Même le discours le plus rationalisant, le plus littérairement rêche et gris fait de sa grisaille un procédé rhétorique: celui par lequel il prétend justement être au-dessus des procédés rhétoriques et, corollairement, que tout son contenu découle d’une dialectique froide et impartiale. Ou mieux: d’une dialectique divine.
L’ennui semble d’ailleurs toujours avoir été un attribut de la divinité et par conséquent, de la sagesse. C’est vrai que l’éternité du vécu et l’infinité du regard doivent avoir quelque chose de foncièrement lassant. Quel que soit le moment qui passe, il n’est toujours que l’échantillon dérisoire parmi la myriade des possibilités. Quel que soit l’objet contemplé, il n’est jamais, selon la manière dont on le regarde, que le détail insignifiant d’un ensemble autrement plus riche, ou bien le tableau superficiel où croupissent les microcosmes par milliers. C’est pourquoi le dieu autant que le sage dispensent leur enseignement sur le mode de l’ennui, accusant la vacuité de leur propre savoir – qui n’est jamais que l’amorce d’une connaissance autrement plus profonde, souffrant d’entendre le son de leur propre voix – qui n’est jamais que l’avilissement du souffle divin sur la paroi d’un orifice buccal.
Et c’est pourquoi nous rencontrons parfois ces voix spectrales, telle que celle d’un Aristote, d’un Kant ou de quelqu’autre Hegel.