Chroniques de la vie mutilée #4 : de la rage de vivre et de son contraire

Chroniques de la vie mutilée #4 : de la rage de vivre et de son contraire

L’on pourrait facilement croire que le contraire de la rage de vivre est le renoncement mais même le renoncement demande un effort, une effusion passionnelle. Il consiste en une sorte de manifestation révoltée ou mésadaptée du vouloir-vivre, où l’homme se trouve ou bien dans l’impossibilité d’accepter le scandale de l’existence ou bien dénué des moyens qui lui permettraient d’y faire face. Par suite, le renonciateur saute si bien dans l’intervalle de l’instant et vit si intensément les contradictions auxquelles il fait face que le renoncement devient pour lui la seule voie possible. Lire la suite « Chroniques de la vie mutilée #4 : de la rage de vivre et de son contraire »

Les mangeurs de bébés

Les mangeurs de bébés

Cet improbable bout de chair, concentré de beauté et d’intelligence, qui provoque quotidiennement des ouragans dans mes souvenirs et des tornades dans ma cervelle, et que j’appelle ma « fille », aura cinq ans d’ici quelques semaines. Cela signifie que le tendre chapitre de sa petite enfance s’achève déjà et qu’elle commencera bientôt, dans quelques mois, si ce n’est dans quelques semaines, à devenir quelque chose comme une grande enfant. Tantôt, elle franchira les portes de la plus noble des institutions de la civilisation (bien que les hommes l’oublient trop souvent !) : l’école, où elle découvrira qu’il y a un monde de savoir, de sagesse et d’aventure qui s’étend bien au-delà du cercle étroit qu’elle forme avec son Papa et sa Maman. Bien que l’idée de voir éclore la précieuse vie dont ma fille est porteuse m’emplisse évidemment de fierté, je ne peux nier que je ressens une certaine tristesse à l’idée que cette douce époque s’achève déjà. Lire la suite « Les mangeurs de bébés »

Chroniques de la vie mutilée #3: Commodité catastrophique

Chroniques de la vie mutilée #3: Commodité catastrophique

La crise écologique qui nous pend au bout du nez relève d’une responsabilité collective, donc abstraite. Pour cette raison, elle prend aux yeux de beaucoup d’individus un air d’inéluctabilité, comme s’il y avait là des forces naturelles qui se manifestaient, des forces qui dépassent l’échelle de l’action humaine. Mieux : il semble que celui qui oserait mettre le pied dans l’engrenage pour s’attaquer à ces forces naturelles risquerait de provoquer une nouvelle catastrophe – par exemple l’effondrement de l’économie – dont il aurait à prendre la responsabilité sur ses épaules. Conséquemment, entre deux catastrophes possibles, les hommes choisissent la plus commode : c’est-à-dire celle dont ils ne peuvent être tenus responsables. D’où l’inaction actuelle.

La fin du grand rêve

La fin du grand rêve

J’ai toujours été fasciné par la progression étonnamment rapide de la carrière de John Lennon. Que l’on y songe: en 1965, il n’est encore qu’une espèce de Backstreet Boy de luxe dont la principale fonction est de faire frémir les jeunes minettes à la sexualité encore recouverte du manteau oppressant de la religion. À peine deux années plus tard, en 1967, il devient l’un des grands prêtres idéalistes de la vague hippie en proclamant, un joint à la main, et quelques amphétamines dans le corps, le pouvoir rédempteur de l’amour et de la paix sur terre. Trois petites années passent encore et cette fois, le Lennon nouveau crie sa désillusion la plus complète à l’égard des idées grandioses des années soixante. Lire la suite « La fin du grand rêve »

Chroniques de la vie mutilée #2: Le journaliste intérieur

Chroniques de la vie mutilée #2: Le journaliste intérieur

Le spectacle médiatique caractéristique de notre époque déteint si bien sur nous, hommes de la postmodernité, que lorsque nous n’y prenons gare, l’esprit journalistique vient court-circuiter sans cesse notre faculté de réflexion. En fait, exposés quotidiennement comme nous le sommes aux surabondantes sources d’information qui nous entourent, cet esprit devient véritablement une seconde nature, une sorte d’indélogeable incrustation psychique que nous pouvons à bon droit appeler notre journaliste intérieur. Lire la suite « Chroniques de la vie mutilée #2: Le journaliste intérieur »

Citation de la semaine: Matthew B. Crawford

Citation de la semaine: Matthew B. Crawford

L’admiration de l’excellence humaine relève d’un ethos aristocratique. […] l’égalité est elle-même un idéal aristocratique. C’est l’idéal de l’amitié entre ceux qui se tiennent à distance de la masse et se reconnaissent entre eux comme des pairs. En revanche, l’idéal bourgeois ne repose pas sur un principe d’égalité, mais sur un principe d’équivalence – sur l’idée d’une interchangeabilité qui efface les différences de rang. […] nos intuitions aristocratiques peuvent en fait contribuer à humaniser et approfondir nos convictions démocratiques plutôt que les menacer.

– Éloge du carburateur

La fin du monde en IMAX

La fin du monde en IMAX

Je suis allé au cinéma il y a de cela quelque temps afin de voir le charmant documentaire Anthropocène, qui porte sur les changements que la main de l’homme impose à la Terre. Plus particulièrement, le film défend, par le moyen des images et des émotions qu’elles suscitent, la thèse selon laquelle nous serions entrés dans une nouvelle ère géologique dont la caractéristique distinctive consiste précisément dans le fait que les changements géologiques qui y ont cours seraient dus à la main de l’homme, avec la responsabilité que cela implique. Ainsi les réalisateurs braquent-ils leur caméra sur nos activités d’extraction de ressources premières, d’aménagement des terres, d’aménagement urbain, sur les changements climatiques que nous provoquons, ainsi que sur notre simple prolifération, qui change certes le visage de la planète. Au vu de tous ces incroyables phénomènes, il est en effet difficile d’infirmer que l’anthropocène est une réalité des plus concrètes. Toutefois, bien qu’il s’agisse d’un sujet des plus passionnants, ce n’est pas de cela dont je veux ici parler mais bien plutôt de l’émotion esthétique sur laquelle le film m’a laissé. Lire la suite « La fin du monde en IMAX »

La braguette maléfique

La braguette maléfique

D’entrée de jeu, je dois avertir le lecteur que je vais révéler, dans les lignes qui suivent, un pan tout à fait obscur de mon existence. C’est quelque chose de si troublant qu’il est fort possible que l’image que l’on se sera assurément faite de moi jusqu’ici – soit celle d’un irrésistible et distingué dandy de plage au bronzage parfait – soit troublée à tout jamais. Pourtant, quelque chose me force tout de même à écrire. Est-ce le génie malin qui m’habite et me pousse depuis toujours à toutes les turpitudes philosophiques dont je barbouille ces lieux ? Je n’en sais rien: le bourreau qui s’acharne sur mon cas prends soin de ne jamais se dévoiler, me privant ainsi de la mince consolation qu’il y aurait à connaître la cause de mon tourment. Ici, comme ailleurs, je dois donc une fois de plus m’abandonner à cette servitude dont j’ignore les tenants et aboutissants. Lire la suite « La braguette maléfique »

Mammouth et fier de l’être

Mammouth et fier de l’être

Quand j’étais petit, c’est-à-dire il y a quelques millions d’années, mes semblables et moi écoutions de la musique principalement à partir de bobines de ruban magnétique fixées sur un support de plastique que nous appelions cassette audio. C’était un horrible support car le ruban se tordait constamment, se déchirait ou se déroulait et il fallait alors l’enrouler de nouveau manuellement. Pourtant, c’est un support qui nous rendait heureux et qui était, de notre point de vue, la réalisation même du progrès. D’ailleurs, beaucoup d’individus de mon âge ont connu l’incommensurable fierté de se promener dans la rue avec, à la ceinture, un rutilant walkman Sony Sports jaune. Lire la suite « Mammouth et fier de l’être »